Littérature : Vanessa Springora, la fin de l’impunité

Vanessa Springora ou l’écriture qui fait bouger les lignes © Corbis via Getty Images

Adolescente, elle s’est retrouvée sous l’emprise d’un prédateur sexuel en qui la société ne voyait qu’un « grand écrivain ». Devenue auteure à son tour, elle a démasqué et fait taire ses démons. Pour son bienet celui de tous.

Vanessa Springora (52 ans), ex-directrice des Éditions Julliard et auteure à succès qui a provoqué une onde choc dès son premier ouvrage, est l’invitée de « Hep taxi ! », dimanche à 22h20 sur La Trois. L’occasion d’observer combien toutes ses sorties de route lui ont été nécessaires pour retrouver son chemin dans les dédales d’une jeunesse traumatisée et de non-dits familiaux douloureux.

Victime culpabilisée

C’est avec « Le Consentement » que l’écrivaine française s’est imposée en 2020, mue par le besoin d’exorciser un secret qui l’empoisonnait depuis plus de trente ans. Dans ce livre, elle raconte sans jugement, mais avec force détails, comment l’écrivain Gabriel Matzneff l’a séduite et, sous une emprise tissée comme une toile d’araignée, l’a abusée.

L’auteur a alors 50 ans. Et Vanessa, quatorze printemps. L’adolescente complexée dont les parents ont divorcé et dont le père « qui devait être un rempart n’était qu’un courant d’air », est poursuivie par un Matzneff insistant, dont les mots sauront lui faire croire qu’il l’aime. Ils ont une relation dont, comme beaucoup de victimes, la jeune Springora pense être responsable car elle y a consenti. L’attirance du romancier pour les adolescents, dont de jeunes Philippins, est alors connue et… tolérée par le monde littéraire à une ère où les romanciers très admirés font autorité. L’intéressé conte d’ailleurs certains de ses exploits dans ses œuvres. Et en 1977, signe une lettre ouverte demandant la libération de trois hommes accusés de relations sexuelles avec des garçons de 13 et 14 ans. Parmi les signataires qui le soutiennent, apparaissent même de célèbres intellectuels comme Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.

Une pierre à l’édifice

Plusieurs décennies plus tard, Vanessa Springora secoue cette sphère littéraire, et la société, avec ses écrits courageux. « J’ai essayé de contextualiser. C’est pour cela que ce travail de mémoire interrogeant une époque est important. Pour ne pas schématiser. Car c’est plus complexe que cela », déclare-t-elle à France Inter. Et ajoute dans les colonnes de L’Obs : « J’espère pouvoir apporter une petite pierre à l’édifice autour des questions de domination et de consentement, toujours liées à la notion de pouvoir. » Son livre se veut un miroir afin que chacun songe à ses responsabilités : « Je parle aussi bien du milieu de l’édition que des médias et des magistrats qui jugent des affaires de pédocriminalité où, souvent, on utilise la notion de consentement pour atténuer la responsabilité d’un agresseur sexuel. »

Le poids des non-dits

En 2021, celle dont le désir est de « lancer une réflexion et non des anathèmes », voit les choses bouger. Une nouvelle loi française réforme le traitement des relations sexuelles avec des mineurs et érige une protection juridique pour les enfants. « Ça me laisse penser qu’écrire est parfois une façon de se réinventer ! », déclare Vanessa Springora. Mais une autre épreuve l’attend. En exhumant des photos, elle découvre que Josef, son grand-père bien-aimé, cité comme héros, déserteur de la Wehrmacht, fut en fait membre du parti nazi. Dans la foulée, Vanessa comprend que son père, replié dans son déni, lui a menti. Mais choisit de lui pardonner dans son second livre, « Patronyme ». Et épilogue : « On peut tuer avec des mots. Mais lui est mort sous le poids du silence. » Vanessa, elle, a réussi à se libérer de tous ses non-dits.

Cet article est paru dans le Télépro du 13/2/2025

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