Les tabloïds et Buckingham, liés pour le meilleur et pour le pire

Les portraits des princes Harry (d) et William en "Une" du journal britannique Evening Standard après la publication du livre "Le Suppléant", le 5 janvier 2023 à Londres © AFP/Archives JUSTIN TALLIS

Des histoires qui font vendre du papier contre une place réservée dans les gros titres, si possibles positifs: c’est l’accord tacite entre la monarchie britannique et la presse tabloïd. Un donnant-donnant qui parfois dérape.

« C’est une relation d’intérêt mutuel », reconnait Michala Hulme, qui enseigne l’Histoire à l’université de Birmingham.

Pour la monarchie, « les médias sont utiles pour montrer aux contribuables britanniques ce que font les membres de la famille royale avec l’argent public » qui finance leur train de vie somptuaire, ou pour attirer l’attention sur les œuvres caritatives qu’ils défendent, remarque Mme Hulme.

Et pour les médias, les « Royals », dans leurs fonctions publiques et leurs tribulations privées, représentent une source inépuisable d’histoires générant ventes et audience.

La société de marketing Brand Financial estime que la famille royale a contribué à hauteur de 125 millions de livres (142 millions d’euros ) aux recettes des médias en 2022. « Une évaluation conservative de la valeur publicitaire » de la couverture médiatique de la famille royale, affirme un responsable de Brand à l’AFP.

Cet échange de bons procédés se manifeste notamment par la « rota », le petit groupe de médias accrédités à Buckingham, qui ont un accès quasi permanent aux communicants des Windsor et aux événements auxquels participent les membres de la famille.

Symbole d’une relation qui peuvent tourner à l’endogamie: les anciens journalistes des tabloïds passent parfois de l’autre côté comme le nouveau directeur de la communication de Charles et Camilla, Tobyn Andreae, ancien rédacteur en chef adjoint du Daily Mail.

Mais s’ils ont besoin les uns des autres, leurs intérêts parfois divergent.

« Les membres de la famille royale ont besoin de publicité mais selon leurs propres termes. Les journaux tabloïds veulent des histoires sur les royaux, mais à leur façon », résume Ivor Gaber, professeur à l’université du Sussex.

Les médias se plaignent aussi d’un carcan imposé par Buckingham qui récompense les plus dociles, pénalisant particulièrement les télévisions forcées de se plier au jeu du Palais sous peine d’être privées d’accès aux grands événements royaux.

Comme en attestent certaines plaintes en justice, les membres de la famille royale estiment que le respect de leur vie privée est constamment bafoué – comme en témoignent les conversations intimes de Charles et Camilla couchées sur papier au temps de leur relation extraconjugale – et leur réputation salie au prix de tactiques agressives et parfois même illégales.

Le prince Harry tient notamment la presse pour responsable de la mort de sa mère Diana dans un accident de voiture en 1997 à Paris alors qu’elle était poursuivie par des paparazzis.

Sa femme Meghan dit avoir souffert de pensées suicidaires à la suite du barrage médiatique négatif qu’elle a subi au Royaume-Uni, avant l’exil du couple en Californie.

– poursuites –

Harry a lancé des poursuites contre des journaux britanniques qu’il accuse d’avoir recueilli illégalement des informations, notamment News Group Newspapers (NGN), l’éditeur du Sun et de News of the World aujourd’hui disparu après le scandale ayant révélé le piratage des téléphones de personnalités.

Il les accuse aussi d’avoir tenté de corrompre les proches de sa femme, dont son ex-mari ou son père, pour obtenir des informations potentiellement juteuses, et de verser dans le racisme ou la diffamation.

Le prince Andrew, lui, a fait les titres ces dernières années de la presse mondiale d’information pour ses liens avec le pédophile mort en prison Jeffrey Epstein.

Les observateurs estiment toutefois que les médias britanniques sont moins agressifs depuis le scandale de News of the World.

Ivor Gaber estime que le pacte silencieux entre médias et monarchie passe par une couverture positive du monarque, de l’héritier et de leurs époux, tandis que les membres satellites ont droit à moins d’égards.

Dans un article paru en mars, l’hebdomadaire The Observer faisait le compte des articles concernant Kate: à un événement auprès de la garde nationale galloise, ou auprès de victimes de tremblement de terre de Turquie et Syrie… toujours bien mise et le sourire aux lèvres.

« Un autre jour, une autre image de sens du devoir dans la sobriété », ironisait The Observer, estimant que ce plan médiatique intensif faisait partie du jeu de « la Firme », surnom de la famille royale, pour perpétuer l’institution.

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