Le ton fait la chanson, le timbre assure le succès !
Il était une fois des voix, suaves, rauques, éraillées ou juvéniles qui nous donnent des frissons. Pourquoi nous touchent-elles tant ? Serait-ce une magie inexpliquée et inexplicable ? Pas vraiment…
Médecin ORL, chirurgien, professeur, le Dr Jean Abitbol se passionne, depuis 1979, pour la recherche vocale et l’anthropologie de la voix humaine. C’est lui qui a sauvé la voix d’Hélène Ségara, altérée, dans les années 2000, par un kyste sur les cordes vocales, au bout de dix-sept opérations, alors même que tous les médecins consultés lui avaient prédit la fin de sa carrière. Sollicité par les artistes, comédiens, professeurs, avocats du monde entier, Jean Abitbol a pourtant gardé la simplicité des passionnés et des grands professionnels. Rencontre avec celui qui a publié «L’Odyssée de la voix» (2005, Robert Laffont), «Le Pouvoir de la voix» (2016, Allary Éditions), «Voix de femme» (2019, Odile Jacob) et «La Belle histoire de la voix» (2019, De Boeck supérieur).
Docteur, vous décrivez certains chanteurs et chanteuses comme des athlètes de la voix. Ont-ils des capacités hors normes ?
Un chanteur a un précieux instrument de musique : son appareil vocal. Il peut jouer avec ce conduit, mais tout dépend de quel «instrument» il veut jouer et de quelle manière. Certains artistes sont des athlètes «respiratoires», tels Françoise Hardy, Carla Bruni ou le regretté Georges Brassens qui était un troubadour. D’autres sont des athlètes «musculaires», tels Johnny Hallyday, Luciano Pavarotti, Roberto Alagna et Céline Dion. Ceux-ci doivent s’entraîner, faire des exercices physiques réguliers et avoir une hygiène de vie remarquable. Ces athlètes-là n’ont pas besoin de micro. Même si Céline Dion en utilise, elle pourrait très bien s’en passer. Donc, les uns utilisent leur souffle, alors que d’autres se servent de leur corps tout entier ! Il y a aussi l’association des deux, tel feu Jacques Brel : il était capable de proposer des chansons avec le souffle et d’autres où tout son corps exprimait l’émotion. À ce niveau-là, Brel était à la fois troubadour et athlète. Son être entier devenait sa voix et la voix devenait son émotion !
Parmi ces athlètes, Johnny a été un cas à part…
Avant un concert, Johnny Hallyday ne semblait guère en forme dans les coulisses, puis dès que le show commençait, il avait une décharge d’adrénaline largement suffisante pour lui permettre d’être très performant. Quelle émotion il dégageait ! Son être «individuel» se nourrissait du «collectif» que lui apportait la foule enthousiaste ! Chez les dames, Maurane avait également cette capacité à se nourrir de la force communiquée par le public.
Vous mentionnez l’importance de l’hygiène de vie des artistes, mais Hallyday n’en avait guère !
C’est l’exception ! Il y a des gens qui ne s’entraînent pas, mais sont capables de gagner un marathon et d’autres pour qui il est nécessaire de beaucoup travailler. Elvis Presley, Frank Sinatra et Dean Martin ne semblaient pas se préparer non plus, ils buvaient, fumaient et, pourtant, pouvaient donner de la voix.
Plusieurs de ces athlètes savent crier, dites-vous. Bien crier, cela s’apprend ?
Absolument. Ces notions ont été développées notamment à la célèbre Juilliard School de New York et à l’école de musique de Londres, sans doute parce il est dans leur culture de chanter fort, dans les chorales de leurs églises, par exemple. Mais «crier» requiert aussi un échauffement sinon le claquage est assuré ! Pousser sa voix sur scène exige une harmonie entre le souffle, les cordes vocales et la caisse de résonnance. Le cri est comparable à celui du nourrisson. Toutes les mères savent de quoi je parle : on peut l’entendre dans toute la maison ! Car le petit se met immédiatement en harmonie avec ses capacités et ainsi évite tout déchirement. Je n’ai jamais vu de nodules sur les cordes vocales d’un bébé ! À l’âge adulte, certains savent conserver cette aptitude, en se chauffant au préalable et en respectant une verticalité.
Que dire du cas singulier de Michael Jackson dont la voix chantée était quasi enfantine et androgyne mais qui, au quotidien, pouvait s’exprimer avec un timbre masculin normal. Nous aurait-il caché sa vraie voix tout au long de sa carrière ?
Pas du tout. La voix parlée masculine est une voix de poitrine. Quant à la voix de tête, plus aiguë chez l’homme ou la femme adulte, elle n’est jamais employée en mode parlé. Son éducation vocale et ses débuts professionnels précoces ont permis à Jackson de continuer à être à l’aise avec cette voix de tête qu’ont plutôt les enfants chanteurs. Il aurait très bien pu chanter en voix de poitrine, mais celle de tête lui était plus naturelle, sans se fatiguer. C’était dans sa nature. Tout comme Mika, aujourd’hui : lui aussi est capable de se «balader» entre graves et aigus. Il peut faire ce qu’il veut !
Quant aux acteurs, pourquoi les dames sont-elles séduites par leurs voix graves ?
C’est primal. Les timbres de Sean Connery, Pierce Brosnan et George Clooney font tout de suite penser à la virilité et à la maturité, représentent celui qui va défendre, protéger. En outre, lorsque nous étions dans le ventre de notre mère, le liquide amniotique filtrait les sons extérieurs. Ceux qui passaient le mieux étaient graves et, à cette époque de notre vie, rassurants ! De même, plus tard, on trouvera gênantes les voix féminines trop aiguës ! Voilà pourquoi on peut aussi préférer des timbres féminins graves comme celui de Lauren Bacall !
Ces reliefs vocaux sont donc également appréciés chez les actrices ?
Oui. Une voix féminine aiguë devient vite insupportable. C’est pareil chez l’homme : si son timbre n’était que grave, bas, au bout de trois minutes, on décrocherait ! Il faut que les graves, qui sont «le diamant dans l’écrin», donnent du relief à celui-ci pour qu’il soit séduisant. Chez la dame, des modulations de sons plus graves auront le même effet. Comme chez Marion Cotillard, par exemple, où aigus et graves sont présents, cela donne une impression d’alcôve enveloppante.
Beaucoup d’acteurs avec un beau timbre ont du succès même lorsque leur physique, lui, n’est pas aussi flatteur… La voix serait-elle LE premier critère de séduction ?
Pour moi, oui… Une confidence : récemment, j’ai reçu une patiente superbe. Dès qu’elle a parlé, le charme s’est envolé, car sa voix était très aiguë et peu en harmonie avec son physique ! Elle en était consciente et venait me consulter pour une rééducation vocale. Pour revenir à la séduction, la voix véhicule une sincérité, une authenticité. On la ressent, elle touche notre imaginaire et nous transporte dans une vibration émotionnelle qui ne nous est pas imposée par le regard et ses a priori. L’ouïe n’a pas de paupières ! L’oreille est totalement à l’écoute de l’autre. Et va aussi faire appel à nos souvenirs de jeunesse, entre 12 et 20 ans, époque où certaines voix nous ont séduit(e)s en nous faisant secréter des endorphines et de la dopamine. Si les timbres que nous entendons à l’âge adulte nous rappellent ceux entendus à l’adolescence, le charme opère dans la seconde !
La voix peut fluctuer en raison du climat, de la fatigue ou du moral. Que doivent faire les artistes pour ne pas «perdre» leur empreinte vocale ?
Parvenir à mettre de côté leurs soucis. Mais si ceux-ci sont vraiment lourds, s’isoler afin d’écouter de la musique permet d’entrer dans un monde où les vibrations ne sont qu’harmonie. Cela va les relaxer et les mettre dans une position empathique. Cette méthode peut être utile à tous.
Cet article est paru dans le Télépro du 22/07/2021.
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