Le conte est bon !
Trop sirupeux ? Noyés dans l’eau de rose ? Voire mièvres ? Peut-être… Mais pourquoi les contes de fées sur petit ou grand écran attirent-ils toujours autant producteurs, scénaristes, acteurs et, surtout, spectateurs ? Et si ces récits étaient bien plus que de doucereuses guimauves…
Réunissez les marraines-fées, convoquez les enchanteurs, frottez les lampes à huile et écoutez les astres ! Les preux chevaliers et princesses endormies des contes féeriques existent toujours. Des tas de stars les ont rencontrés. Et incarnés ! Quand arrivent les longues soirées d’hiver, qu’il est doux de déguster du pain d’épices, savourer une boisson chaude et mielleuse devant un récit haletant dont on sait qu’il se terminera en «happy end»…
«Les nanas sont des princesses»
Que les esprits grincheux et les sceptiques ricanent dans leur barbe. Leur cynisme ne peut rien contre ces histoires enchanteresses cousues de fil blanc… «L’un des plaisirs des contes de fées est ce manque même d’originalité», assure Philip Pullman, auteur de récits «jeunesse» («J’étais un rat !», Folio Junior/Gallimard, 2008). «Les personnages ont rarement de la profondeur ou de la psychologie, mais assument totalement leur « fictivité » pour nous reconnecter aux valeurs positives : amitié, amour et le fait d’être juste humains.»
C’est exactement l’humanité de son héroïne qui a convaincu la jolie Lily Collins à endosser le costume de Blanche-Neige dans le film du même nom sorti en 2012. «Avant d’accepter le rôle, je me suis assuré que, tout en respectant l’originale, j’allais jouer une héroïne à qui toutes les nanas pouvaient s’identifier !», confie l’Anglaise de 31 ans, fille du musicien Phil Collins. «Je pense que chaque jeune fille a aujourd’hui sa propre interprétation de ce qu’est une princesse et de qui elle doit être».
Récits classiques modernisés
Réalisateurs de films et séries ont bien reçu le message. Et adaptent les récits classiques aux mœurs et soucis contemporains. Sans tuer la magie, bien sûr ! C’est ce qui enchante les comédien(ne)s appelé(e)s à se glisser dans un habit de velours ou une paire de pantoufles de vair adaptés aux défis actuels.
«La Belle et la Bête» version 2017, avec Emma Watson, est un bel exemple d’équilibre entre modernisme et respect de l’histoire originale, tout en laissant de la place au rêve. Dans cette mouture, les deux sœurs de Belle n’existent plus. Disparues ces «matérialistes» aveuglées par la richesse et la beauté, jusqu’ici comparées à l’héroïne dont l’unique quête est la bonté. Désormais, la maturité de Belle est suffisante pour démontrer qu’elle tombe amoureuse de la Bête pour sa gentillesse et son ouverture d’esprit.
Prince plus galant que vaillant
Les stars masculines s’amusent aussi de leur statut de prince revisité. Hugh Jackman a accepté, juste après le volet 1 des «X-Men», de troquer les griffes de Wolverine contre les bottes en cuir et la redingote d’un aristo du XIXe siècle pour la comédie romantique «Kate et Leopold» (2002). À travers l’espace-temps, il atterrit dans le New York du XXIe siècle. «Ce mec tombe amoureux de la publiciste Kate McKay (Meg Ryan) pour sa liberté et sa capacité à tenir tête aux hommes, qualités qu’il n’a jamais vues chez une fille jusque-là !», s’amuse l’acteur évoquant son héros métamorphosé. Mais cela n’empêche pas ce cuc d’épater sa «working girl» par sa galanterie surannée. «J’ai pris des cours de bonnes manières avec un coach. Les femmes en plateau étaient épatées. Comme mon épouse, ravie que j’aie appris ces leçons !», sourit l’Australien de 52 ans.
L’amour, toujours…
L’Américain Patrick Dempsey (54 ans) a, lui, apprécié d’évincer un prince-cliché pour séduire une vraie princesse de contes de fées (Amy Adams) dans «Il était une fois» («Enchanted», 2007). «Ce fut un défi de préparer pareil personnage : un type désenchanté qui fond pour une héroïne fictive et l’invite à vivre, avec lui, dans la réalité. Nous avons subtilement mélangé les codes du récit traditionnel et ceux du romantisme contemporain, sans gâcher l’essentiel intemporel : l’amour !», explique l’éternel Dr Mamour à la télé.
Des récits universels
Si Hollywood dépoussière les personnages cultes des contes, l’essence même des récits, entre magie et réalité, reste fondamentale. Lorsque le scénariste Bill Kelly écrit «Il était une fois» qu’évoque Patrick Dempsey – où s’entrechoquent féérie et monde actuel -, son but vise aussi à rappeler l’importance du rêve. «Le monde manque de magie de nos jours. Il ne faut pas oublier la naïveté, il est important de savoir qu’on ne doit pas absolument être cynique pour vivre dans la société moderne.»
«S’il y a un genre qui a capturé l’imagination des gens de tous horizons, c’est bien le conte de fées», renchérit le professeur Jack Zipes, spécialiste des contes et de la littérature pour enfants («Les Contes de fées et l’art de la subversion», Petite Bibliothèque Payot, 2007). «Il perdure car il relate les histoires de nos vies dans leur forme la plus dépouillée. Il s’agit de récits d’amour et de perte, de désir et de mort, de richesse et de ruine, sans fioritures. Et de tout ce qui nous anime. Ils nous apprennent à survivre dans un univers rusé et méchant. C’est un langage culturel commun, avec des symboles et des parcours familiers. Ils nous ramènent à des valeurs d’autrefois pas si différentes de nos valeurs actuelles…»
Pour adultes, pauvres et illettrés
Il est intéressant de rappeler que ces textes, sous leur forme initiale, étaient destinés aux adultes et brassaient des éléments très effrayants. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’ils sont devenus des contes moraux pour enfants. L’historienne de la littérature et mythographe Marina Warner souligne : «À l’origine de la littérature, ils s’adressaient aux pauvres et illettrés pour les aiguiller dans leur lourd quotidien. Par exemple, lorsque dominait la primogéniture (ndlr : privilèges allant aux enfants aînés), les contes donnaient des rôles héroïques aux plus jeunes fils, afin de compenser leur sentiment de dévalorisation. De même, à l’ère du mariage arrangé, les filles craintives étaient apaisées par des histoires où monstres et bêtes se transformaient en princes aimants qui élevaient le rang social de leur épouse et amélioraient leurs conditions de vie. Ceci calmait leur angoisse face au destin.»
Des gens ordinaires, héros extraordinaires
D’autres écrits ou récits oraux «mettaient en scène des gens ordinaires en butte à des obstacles effroyables lancés sur leur chemin par des plus puissants qu’eux, mais animés par le courage, l’idée d’espoir et de s’en sortir en déjouant les pièges». Des films actuels aux jeux vidéo, ces schémas persistent et les épilogues triomphants, les phrases comme «ils vécurent heureux» font encore effet. Selon Marina Warner : «Le conte de fées nous ramène à une sorte d’émerveillement primordial, à cette attention que nous accordions au monde quand nous découvrions tout pour la première fois ! Notre naïveté provient de la persistance, dans notre esprit, de cette réceptivité que nous avions, enfants, quand tout était nouveau, étonnant et époustouflant ! (…) Un besoin d’aller au-delà des limites de la réalité. Et de nous reconnecter au très jeune enfant qui écoute avec ses yeux écarquillés.» Et le Pr Jack Zipes de conclure : «On aspire toujours à l’amour, au confort fiscal, à une vie améliorée pour nous et nos enfants. On veut vaincre les ogres, aller vers des sphères meilleures. Les contes continuent de nourrir notre imagination. Dans ces récits, le merveilleux est un fait. (…) Comme disait Einstein : « L’imagination est plus importante que la connaissance ! »»
Retrouvez l’interview de Lily Collins dans le Télépro du 19 novembre 2020
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