La colère  : bonne ou mauvaise conseillère ?

Qui a décrété que la colère était mauvaise conseillère ? Greta Thunberg en a fait la démonstration... © Isopix

Émotion normale et naturelle, l’ire peut s’emparer de tout un chacun. Même des célébrités habituées à faire bonne figure sous les projecteurs. Mais lorsqu’injustices ou préjugés pleuvent, elles laissent éclater l’orage.

Souvent associée à tort à la violence, la colère a mauvaise réputation. Hausser le ton est lié à un manque de respect dans nos concepts sociaux et culturels.

Pourtant, de plus en plus de psychologues et spécialistes de la santé mentale suggèrent que la colère a des qualités et peut être bénéfique pour la condition humaine car, tout comme la tristesse, elle signale à autrui un besoin d’être écouté et soutenu. Qu’elle soit ou non médiatique.

«How dare you ? !» («Comment osez-vous ? !»)

«Bien sûr, une colère extrême ou chronique nuit au bien-être», note le psychologue Richard Davidson, auteur des «Profils émotionnels». «Mais une colère mesurée peut nous aider à aller de l’avant de façon positive !»

La jeune Greta Thunberg (17 ans), militante de la cause climatique, en a fait une démonstration caractéristique lorsqu’en septembre 2019, elle a froncé les sourcils au sommet de l’ONU, devant plus de cinquante dirigeants mondiaux et des milliers de spectateurs. Son fameux «How dare you ? !» («Comment osez-vous ? !») restera dans les mémoires comme l’expression qui traduit le mieux un ras-le-bol total.

Coups d’éclats nécessaires

Comme le disait Malcolm X (militant afro-américain contre la ségrégation) : «Il y a un temps et un lieu pour la colère, où rien d’autre ne fera l’affaire.» Et quel que soit l’âge, le sexe et l’époque, taper du poing sur la table semble le moyen le plus efficace.

«Imaginez à quoi aurait ressemblé le mouvement pour le droit de vote des femmes, jadis, si celles-ci s’étaient contentées de dire : « Les gars, c’est si injuste, nous sommes des gens sympas et nous sommes aussi des êtres humains. Ne voulez-vous pas nous écouter et nous donner le vote ? »», relève la psychologue sociale Carol Tavris.

Faire mouche

Chef de file du mouvement antiraciste, après le meurtre de George Floyd aux États-Unis, et tout comme Camélia Jordana et Thomas Ngijol, l’acteur Omar Sy a pris la parole pour dénoncer les violences policières. Le 30 mai 2020, il était descendu dans les rues de Los Angeles (où il réside avec sa famille) lors d’une manifestation contre le racisme. Sur son compte Instagram, on pouvait lire : «Hier, à Los Angeles, nous avons marché en paix et solidarité en criant les noms de George, Breonna, Ahmaud et tant d’autres victimes ici aux États-Unis. Via ce post et cette photo, je crie aussi le nom d’Adama Traoré, qui, en France, le 19 juillet 2016, a perdu la vie de la même façon que George Floyd. Que leurs âmes puissent reposer en paix et que justice soit enfin faite.»

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Contrôler les exaspérations

Voilà qui est clair, exutoire. Et sain. «La colère justifiée procure un sentiment de confiance, de certitude et prépare les gens à l’action», explique Dacher Keltner, philosophe à l’université de Berkeley.

Hélas, certaines personnalités au caractère bien trempé ne parviennent pas toujours à maîtriser leurs emportements. Ainsi, Leonardo DiCaprio a-t-il beau être un excellent tribun des causes écologiques, il contrôlerait moins bien ses émotions sur les tournages où ses engueulades avec certains réalisateurs seraient épiques.

Même souci pour Christian Bale, Russel Crowe et Shannen Doherty, expulsée des séries cultes «Beverly Hills, 90210» et «Charmed» en raison des discordes qu’elle créait sur le plateau. Les producteurs l’ont même priée de suivre des cours de gestion de la colère.

Même régime pour Naomi Campbell – qui exprime ses accès de mauvaise humeur à coups de noms d’oiseaux ou de jets d’objets, ainsi que pour la chanteuse Nicki Minaj : en 2012, la star a failli en venir aux mains avec Mariah Carey sur le plateau d’«American Idol».

Incorrigibles grands mômes

Cela dit, la colère sert également à mieux se connaître. «Elle nous donne un aperçu de nous-mêmes, car c’est la couche de problèmes plus profonds, cachés», décode Davidson. «Elle peut donner un aperçu de nos défauts et lacunes, et si on l’examine de manière constructive, peut conduire à un changement de soi positif.»

Le plus atrabilaire de tous les tennismen, John McEnroe, dont les joutes épiques restent dans les mémoires, reconnaît aujourd’hui : «Bien sûr, je suis allé trop loin, je le regrette. J’assurais le spectacle, ma présence remplissait les gradins. Le système me laissait déraper. Mais, si je me comportais ainsi, c’est que je me sentais mal. Chaque fois que je pétais un plomb sur un court, je culpabilisais. Je me suis souvent excusé après, auprès des arbitres et joueurs.»

Mais d’autres personnalités trop sensibles ont conservé leur âme d’enfant et le sentiment que le monde des adultes est d’une injustice et d’un aveuglement intolérables. Celles-ci font régulièrement entendre leur(s) cause(s), certes juste(s), mais en des termes parfois acerbes. Ainsi, notre Bouli Lanners national a-t-il explosé sur les réseaux sociaux après le rejet de la loi climat par les députés belges, en mars 2019 : «On pensait naïvement que vous alliez vous sortir les doigts du c** !»

Dire tout haut ce que les autres pensent tout bas

Montant également au créneau pour le racisme, la cause des plus démunis ou la déforestation, l’acteur et réalisateur assume ses prises de position et ses discours sans filtre. En 2018, il a confié à Télépro : «Oui, je suis un militant. On peut dire ça. Je me consacre à l’écologie, à la lutte anti-nucléaire. Quant aux sans-papiers, l’idée même d’un centre fermé m’est insupportable. C’est immoral !»

Cette ultra-sensibilité n’est pas sans rappeler celle d’un certain Daniel Balavoine, artiste à fleur de peau qui confiait : «Je parle d’abord, je réfléchis ensuite». Le chanteur engagé de «L’Aziza» (plaidoyer antiraciste) correspond à la définition de la colère qui conscientise. Celle éprouvée, selon Richard Davidson, «quand on nous refuse des droits ou face au manque de respect, à l’injustice, à l’exploitation. La colère sert alors de boussole interne qui indique que quelque chose ne va pas !»

Dès les années 80, Balavoine montra à quel point l’ire peut avoir des vertus visionnaires en balançant à la télé : «La jeunesse est profondément désespérée parce qu’elle n’a plus d’appui. Le désespoir est mobilisateur, et lorsqu’il est mobilisateur, il devient dangereux !» Des propos rageurs d’une troublante modernité.

L’emportement positif

Mécanisme de défense, la colère serait un besoin primitif d’être vigilant face aux menaces et d’aiguiser notre attention. Elle serait bénéfique psychiquement et physiquement en nous aidant à faire face au stress, en déchargeant la tension de notre corps et en calmant nos nerfs.

«Les personnes capables de manifester leur colère de manière appropriée ont plus de chance de répondre à leurs besoins et de contrôler leur destin, que celles qui répriment leur frustration», détaille le psychologue Richard Davidson. «Au quotidien, c’est une force positive permettant de trouver de manière créative des solutions aux défis auxquels nous sommes confrontés : problèmes de couple, au travail, etc. Et qui facilite l’élimination des obstacles sur le chemin de nos objectifs».

Et étonnamment, la colère déclenche l’optimisme : «Cela nous aide à nous concentrer sur ce que nous espérons accomplir, plutôt que de nous focaliser sur la douleur, la victimisation. Le système de la colère est orienté non pas vers ce qui est impossible, mais vers ce qui est réalisable !» À une condition : «La clé de son efficacité est de l’exprimer avec sagesse !»

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 18/6/2020

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