Johnny Clegg : Zoulou blanc, cœur noir !

C’est la musique qui amena ce scientifique à entrer dans la culture noire pour s’engager ensuite politiquement contre l’apartheid  © Isopix/Lecoeuvre Phototheque / Collection Christophel

Ce prof d’anthropologie (1953-2019) fut un artiste unique qui créa un style musical mêlant sons occidentaux et zoulous. Avec le désir d’abolir racisme et préjugés. Ce vendredi à 22h40, Arte dresse son portrait dans «Johnny Clegg – Le Zoulou blanc».

Révolté, insoumis, le chanteur-auteur-compositeur s’est dressé toute sa vie contre l’apartheid (politique d’Afrique du Sud qui tenta de séparer les races entre 1948 et 1991). Lorsqu’un cancer du pancréas l’emporte, à 66 ans, le 16 juillet 2019, son directeur musical, Roddy Quinn, lui rend un hommage éloquent : «Johnny nous a montré comment assimiler et embrasser d’autres cultures sans perdre son identité». Une aptitude singulière pour un destin hors norme.

Un «bon sale gosse»

Né en Angleterre, d’un père britannique et d’une mère juive polonaise qui a grandi au Zimbabwe, Jonathan Paul Clegg suit cette dernière jusqu’en Afrique du Sud et y passe sa jeunesse. Fasciné par la musique et fou de guitare, le pré-ado est marqué par la façon de jouer d’un artiste de rue. «Ce Zoulou avait africanisé l’instrument !», dira-t-il plus tard à Pan Africa Music, média cnsacré aux cultures africaines. «J’ai voulu apprendre ! Je ne suis pas entré dans la culture noire par la politique, c’est la musique qui m’a ouvert la porte.»

À l’époque, un Blanc ne peut hélas pas fréquenter des Noirs. Et encore moins chanter ou danser avec eux. Arrêté maintes fois, le gamin n’en a cure : «L’apartheid n’était qu’une clôture, j’essayais juste de la contourner.» Et d’ajouter dans l’hebdo français Jeune Afrique : «À chaque fois, les flics appelaient ma mère, elle payait une amende, me faisait promettre de ne pas recommencer. Mais rien n’aurait pu m’empêcher de retourner écouter cette musique que l’on jouait en rue et sur les toits !»

Chanter sa révolte

Révolté par la ségrégation, le jeune homme devient militant en enseignant l’anthropologie à l’université de Witwatersrand. «J’ai perçu les choses différemment, je me suis politisé. Pourquoi ces barrières ? Pourquoi était-ce immoral qu’une personne noire et une personne blanche se marient et aient des enfants ? C’était quoi ça ?» Clegg entre en résistance via la musique, forme le groupe Juluka («sueur»), puis Savuka.

Son but avoué à Pan Africa Music est clair : «Beaucoup de chanteurs engagés se sont fait connaître mais n’avaient pas un public nombreux car les gens n’aiment pas qu’on leur dise ce qui est bien ou mal. Donc, les autorités ne les craignaient pas. Je voulais aussi écrire des chansons politiques, mais en trouvant un moyen pour que le public se les approprie !»

La magie opère, Johnny Clegg part en concert avec ses tubes : «Scatterlings of Africa», «Cruel, Crazy, Beautiful World» et surtout, «Asimbonanga», hommage à Nelson Mandela (l’homme d’État africain incarcéré durant 27 ans) ainsi qu’à trois autres figures anti-apartheid : Victoria Mxenge, avocate tuée par la police sud-africaine, Steve Biko et Neil Agget, morts dans des conditions suspectes en prison.

Danse avec Mandela

Les temps changent dans les années 1990. Sur scène en Allemagne en 1997, le chanteur a le choc de sa vie : «Mandela m’a rejoint, rayonnant et dansant ! C’était juste un cadeau complet et incroyable de l’existence». Au soir de sa vie, l’artiste multi récompensé ne se dit pourtant pas dupe : «Entre 1994 et 1999, on avait ouvert un barrage. Puis, ça s’est refermé doucement. L’anti-apartheid m’a enseigné qu’il est facile d’être contre quelque chose, mais plus difficile d’être pour quelque chose. La lutte continue.»

Et de conclure sur sa carrière : «Elle fut si enrichissante ! Pouvoir unir les gens par la chanson, surtout à une époque où cela semblait impossible, fut inespéré». Le Zoulou blanc y est parvenu par le talent. Et la ténacité.

Cet article est paru dans le magazine Télépro du 21/1/2021

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