Jean Gabin : rugueux et sensible

Grand ami de Lino Ventura, Jean Gabin avait pris le jeune Alain Delon sous son aile au début des années 1960 © Getty Images

L’Amérique parle encore de lui. Il aurait pu y faire carrière. Le « french lover » a refusé. Son fief a toujours été hexagonal, là où l’on rit ou râle avec une gouaille inimitable. Ce vendredi à 20h30, La Trois diffuse le documentaire « Jean Gabin, le dernier des géants ».

Avec son regard bleu vif observant ses partenaires et le public sous le bord d’une casquette ou d’un feutre aristocratique, celui qui a débuté au music-hall, séduisant Michèle Morgan – « T’as d’beaux yeux, tu sais ! » (« Le Quai des brumes », 1938), mais aussi Marlene Dietrich, s’est inscrit au générique de films illustrant une France telle que le monde entier l’aime : un air d’accordéon, un Paris sublimé, des messieurs misogynes mais polis, fidèles à leurs convictions et à leurs amis.

Bon à rien

« Tu n’es qu’un bon à rien », disait-on à l’école et à la maison à Jean Gabin Alexis Moncorgé, né à Neuilly en 1904. Le garçon veut être cheminot afin d’admirer de près les locomotives défilant sous la fenêtre de sa chambre. Mais c’est le train du show-biz qui embarque par hasard le futur héros de « La Bête humaine » (1938), où il sera un conducteur du rail. Le débutant ne se trouve pas beau, ne se rêve pas en vedette, s’étonne d’être l’idole des cinéphiles et la coqueluche de ces dames. La Seconde Guerre mondiale interrompt son ascension. Réfugié aux États-Unis, il apprend l’anglais « à l’oreille ». Malgré le contrat en or que lui propose la Fox, Jean ne veut pas lanterner chez « les Amerloques », même s’il a le béguin pour Ginger Rogers. Ses compatriotes sont au front. Il les rejoint : « Je me bats pour la France, pas pour la gloire. »

Incapable de faire du Molière

À la Libération, c’est un Jean Gabin aux cheveux devenus gris qui revient dans le show-biz. « Touchez pas au grisbi » le remet en selle en 1954. Avec ce succès, l’artiste trouve aussi un pote. Lino Ventura, son partenaire, est comme lui : « Un gars droit, ponctuel, fiable. » Avec Bernard Blier et le dialoguiste de leurs triomphes, Michel Audiard, ils forment un cercle aussi mythique que leurs films. À table, Ventura et Gabin s’affrontent au coup de fourchette ! « Quand Lino mange, tu crois qu’il va te tuer. Ses mâchoires font clac, clac ! », s’amuse Jean.

Avec Michel, par contre, disputes et réconciliations s’enchaînent. Les deux phénomènes ont besoin l’un de l’autre. Gabin parle comme Audiard et Audiard écrit comme Gabin s’exprime. Ce dernier remanie toujours ses répliques : « Je ramène les mots à moi pour être en osmose avec qui j’suis, je serais incapable de faire du Molière ! » De leurs collaborations naît notamment « Mélodie en sous-sol » (1963) où « le vieux » prend sous son aile Alain Delon.

Paysan déçu

Quand la Nouvelle Vague veut pousser dehors « le cinéma de papa », Jean Gabin continue le métier, mais repart plus souvent à la campagne. Il aime la terre. Au point de vouloir être paysan. Cet univers le voit à tort comme un bourgeois. Un litige l’oppose aux cultivateurs venus occuper sa propriété pour faire entendre leur cause. Gabin-le-solide s’effondre. Son fils le voit pleurer. Mais la France entière versera aussi des larmes quand sa vedette s’éteindra en 1976. Jean restera l’emblème d’un ciné où l’on se fichait du box-office, des franchises avec des gars en costumes ridicules ou des comédies préfabriquées pour des acteurs plus intéressés par leur salaire que par leur rôle. Et où l’on osait dire aux « affairistes » du 7e art : « Quand on mettra les c… sur orbite, t’as pas fini de tourner ! »

Cet article est paru dans le Télépro du 28/11/2024

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici