Jacques Julliard, un des derniers grands intellectuels de gauche
Historien et éditorialiste, Jacques Julliard, dont le décès à l’âge de 90 ans a été annoncé vendredi, était l’un des derniers grands intellectuels de gauche, dont l’aura dépassait largement son camp politique.
Après 32 ans passés au Nouvel Observateur, dont il était l’un des piliers aux côtés de Jean Daniel, il était devenu en 2010 éditorialiste de l’hebdomadaire Marianne.
Solide, le cheveu éternellement brun, il était à la pointe des combats pour les droits de l’Homme et la liberté d’expression, transcendant les lignes idéologiques.
Depuis ses premiers pas dans le syndicalisme, à l’Unef dans les années 50 puis à la CFDT, son histoire s’est confondue avec celle de la gauche française.
Né le 4 mars 1933 à Brénod (Ain) , une commune du Haut-Bugey, dans une famille de notables locaux enrichis par le commerce du vin, il baigne très tôt dans un milieu républicain de tradition radicale, fréquentant pourtant le catéchisme sous l’influence de sa mère, catholique pratiquante mais critique à l’égard de l’Église.
Elève à l’Ecole normale supérieure en 1954, il entre l’année suivante à la revue Esprit, s’investit dans le syndicalisme étudiant et s’engage en faveur d’idées anticolonialistes.
Après son service militaire en Algérie, il enseigne à Chartres puis à l’Institut d’études politiques de Bordeaux et mène parallèlement une carrière d’universitaire et de semi-permanent à la CFDT.
« Repartir du pied gauche »
Le printemps de Mai-68 le voit apparaître comme un élément modéré de la contestation. C’est peu après qu’il rencontre Jean Daniel, déjà directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, avec qui il entretient une profonde connivence intellectuelle. En 1974, il adhère au Parti socialiste.
Avec ses amis politiques, dont Michel Rocard, il s’attache, au sein de la revue Faire, à la modernisation idéologique du PS. Ce sera la deuxième gauche, opposée à la première, la mitterrandiste, fondée sur un marxisme à la française et l’héritage jacobin de la Révolution française. La deuxième gauche veut, elle, réconcilier les socialistes avec l’économie de marché.
Plus tard, il constatera l’échec de ce courant. Il a échoué d’avoir trop réussi, explique-t-il dans un texte publié en janvier 2010 par le quotidien Libération, « Vingt thèses pour repartir du pied gauche »: l’argent, derrière le marché, a subjugué trop de ses compagnons. La tribune fait grincer beaucoup de dents au sein de la gauche intellectuelle.
« Au-delà des spéculateurs, c’est l’idée même de ce capitalisme hors sol, hors production, qu’il faut déraciner, expulser des cerveaux formatés par le bourrage de crâne ultralibéral ». « Je me suis dit simplement que la gauche ne pouvait pas continuer à être aussi absente: que propose-t-elle de plus que Sarkozy contre le capitalisme financier ? », écrit-il.
« Qu’est-ce qu’un homme de gauche doit faire de plus ? D’abord, commencer à ne plus réfléchir comme un banquier. Il faut tout reconstruire. »
« Nouvelle stimulation »
C’est dans ce contexte qu’il quitte le Nouvel Obs en 2010 pour rejoindre son concurrent, Marianne. A cette critique de fond, il ajoute une seconde raison, le besoin d' »une nouvelle stimulation », de « rompre avec (son) confort intellectuel et de (se) remettre en cause », à près de 80 ans.
A partir de 2017, il tient également une chronique mensuelle dans Le Figaro, où il dénonce tour à tour le déclassement de la France ou une crise de la démocratie.
Toujours sur la brèche, il pointait encore, en août, dans Marianne, « notre politique étrangère… un vide aussi sidéral que sidérant » ou, dans un autre édito publié en mai, une gauche qui allait « perdre toutes les élections prévues au cours des quatre prochaines années ».
Jacques Julliard laisse derrière lui de nombreux essais politiques comme « La faute aux élites », « Rupture dans la civilisation » ou « Les gauches françaises ».
Il est le père de Jean-François Julliard, nommé en 2023 directeur du Canard Enchaîné.
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