Isabelle Huppert : «La morale est priée d’aller voir ailleurs» (interview)
La comédienne est de retour cette semaine au cinéma avec le film «Elle», de Paul Verhoeven («Basic Instinct», «Robocop»…).
Dans ce film, Isabelle Huppert campe Michèle. Celle-ci fait partie de ces femmes que rien ne semble atteindre. À la tête d’une grande entreprise de jeux vidéo, elle gère ses affaires comme sa vie sentimentale : d’une main de fer.
Sa vie bascule lorsqu’elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Inébranlable, Michèle se met à le traquer en retour. Un jeu étrange s’installe alors entre eux. Un jeu qui, à tout instant, peut dégénérer…
Vous êtes arrivée sur le projet de «Elle» très en amont…
Il a une science du rythme, du mouvement, et il n’hésite pas à mélanger les genres sans se soucier s’il fait un portrait de femme, la sociologie d’une époque ou un film de genre, un thriller. Je ne dis pas qu’un cinéaste français ne le ferait pas, mais disons on serait plus surpris qu’il le fasse !
Le film ose parfois le romantisme, notamment dans la scène où Patrick aide Michèle à fermer les volets…
Dans tous ses films, il joue constamment avec les codes, les détourne, s’en sert au moment où il en a besoin puis les abandonne. Il ne tombe jamais dans le piège que son film prenne un tournant dont il ne revienne pas.
Contrairement au roman de Djian, Michèle travaille dans les jeux vidéo, non pour le cinéma.
Verhoeven se sert de la fantasmagorie des jeux vidéo comme prolongement contemporain de la dimension du conte. Un mélange de violence et de sexe comme un écho allégorique à toute l’histoire du film.
Les hommes n’ont pas forcément le beau rôle, notamment Robert, l’amant de Michèle, auquel elle dit : «C’est ta bêtise qui m’a séduite !»
Oui, les hommes en prennent pour leur grade ! Le fils, le mari, l’amant, même le violeur. Mais ces hommes faibles, parfois jusqu’à la veulerie, ne sont pas pour autant méprisés, ni méprisables, leur désarroi et leur vulnérabilité nous les rendent attachants. Mais c’est un fait : Michelle est une femme forte, une femme de sa génération qui a accédé au pouvoir. Pouvoir économique, sexuel, social, une petite révolution qui révèle la faiblesse des hommes.
À la fin du film, Michèle et Anna s’éloignent ensemble. Jusqu’où ?
Oui, elles s’éloignent mais dans un cimetière tout de même, pas dans un champ de roses ! Alors où ? Je ne sais pas, en tout cas ensemble…
Propos recueillis par Claire Vassé (SBS)
Découvrez ci-dessous la bande-annonce d’«Elle» :
Oui, le film va trop vite pour ça. Tenter d’expliquer les personnages tendrait presque à rompre ce point de déséquilibre qui fait la force du récit, à le remettre dans la lenteur de la tentative d’une explication. Michèle est entièrement dans la scène au moment où elle se passe. Ce qui compte, c’est comment elle avance pas comment elle recule.
La confession par Michèle du meurtre de son père à Patrick est emblématique de ce refus de figer votre personnage dans l’explicatif : vous nous baladez entre l’horreur, l’humour, le doute, l’émotion…
Là encore, on n’allait pas tomber dans un récit doloriste. Michèle a pris de la distance, c’était le seul moyen pour elle de survivre à son passé. Elle nous sert tout ça avec un humour ravageur, un peu comme si elle nous tendait une assiette de poison en nous disant : «Vous en reprendrez bien un peu ?» Djian n’y va pas avec le dos de la cuillère : le père a tué 70 petits enfants et elle doit vivre avec cet opprobre, ce désastre. Dans le roman, elle n’était pas là lors du meurtre. Dans le film, non seulement elle est présente, mais le reportage à la télévision sous-entend qu’elle aurait pu y prendre part… Je n’y ai pas pensé. D’une manière générale le film – comme le livre d’ailleurs – accumule une telle galerie d’événements que je ne m’attachais pas à ce qui avait pu précéder ces événements. Ce qui compte ce ne sont pas ses réactions au passé, mais au présent.
On peut se dire que lors de l’agression dans la cave, elle rejoue le traumatisme qu’elle a vécu avec son père, puis avec son violeur la première fois, mais en en maîtrisant d’une certaine manière le déroulement et la violence…
Oui, disons que le viol déclenche en elle un désir de violence, qui sans doute sommeillait en elle depuis sa plus tendre enfance et, en bonne manipulatrice, c’est elle qui sait orchestrer tout ça. Même si elle sait aussi que tout en elle a été profondément perturbé par ce viol. Elle n’en sort pas indemne.
Incarner une femme qui prend du plaisir avec son violeur vous posait-il problème ?
Encore une fois, le film est un conte. Le conte mène au fantasme. L’effet de réel est modifié, altéré. Dans un conte tout est exagéré, donc tout est possible. La morale est priée d’aller voir ailleurs. Un jeu s’instaure entre elle et son violeur, c’est son choix.-
En quoi Verhoeven, cinéaste hollandais qui a travaillé à Hollywood filme-t-il différemment d’un cinéaste français?
Il a une science du rythme, du mouvement, et il n’hésite pas à mélanger les genres sans se soucier s’il fait un portrait de femme, la sociologie d’une époque ou un film de genre, un thriller. Je ne dis pas qu’un cinéaste français ne le ferait pas, mais disons on serait plus surpris qu’il le fasse !
Le film ose parfois le romantisme, notamment dans la scène où Patrick aide Michèle à fermer les volets…
Dans tous ses films, il joue constamment avec les codes, les détourne, s’en sert au moment où il en a besoin puis les abandonne. Il ne tombe jamais dans le piège que son film prenne un tournant dont il ne revienne pas.
Contrairement au roman de Djian, Michèle travaille dans les jeux vidéo, non pour le cinéma.
Verhoeven se sert de la fantasmagorie des jeux vidéo comme prolongement contemporain de la dimension du conte. Un mélange de violence et de sexe comme un écho allégorique à toute l’histoire du film.
Les hommes n’ont pas forcément le beau rôle, notamment Robert, l’amant de Michèle, auquel elle dit : «C’est ta bêtise qui m’a séduite !»
Oui, les hommes en prennent pour leur grade ! Le fils, le mari, l’amant, même le violeur. Mais ces hommes faibles, parfois jusqu’à la veulerie, ne sont pas pour autant méprisés, ni méprisables, leur désarroi et leur vulnérabilité nous les rendent attachants. Mais c’est un fait : Michelle est une femme forte, une femme de sa génération qui a accédé au pouvoir. Pouvoir économique, sexuel, social, une petite révolution qui révèle la faiblesse des hommes.
À la fin du film, Michèle et Anna s’éloignent ensemble. Jusqu’où ?
Oui, elles s’éloignent mais dans un cimetière tout de même, pas dans un champ de roses ! Alors où ? Je ne sais pas, en tout cas ensemble…
Propos recueillis par Claire Vassé (SBS)
Découvrez ci-dessous la bande-annonce d’«Elle» :
Oui, j’ai lu «Oh…» et rencontré Philippe Djian, qui m’a dit qu’il n’avait pas écrit pour moi, mais qu’il m’avait eue dans la tête à plusieurs reprises lors de la rédaction de son roman. Le livre ressemblait à un scénario.
Qu‘est-ce qui vous plaisait dans le roman et ce personnage de femme ?
C’est une femme qui ne tombe pas – jamais. Elle est multiple : cynique, généreuse, attachante, froide, méritante, indépendante, dépendante – lucide. Elle n’est pas sentimentale, il lui arrive une foule d’événements les plus encombrants les uns que les autres, mais elle ne craque pas. Elle ne se comporte jamais en victime, alors qu’elle aurait toutes les raisons de l’être : victime de ce père tueur de masse, et ensuite de son violeur. La culpabilité, subir ce qui vous arrive… Autant de notions dont il n’est pas si facile de débarrasser les personnages féminins. Même si ce sont des femmes fortes, on est toujours tenté d’être rattrapé par ça. Il y a toujours une tentation de ça au cinéma, aller vers l’émotion – fausse au bout du compte ! – un sentimentalisme un peu poisseux.
Grâce à votre interprétation, toujours un peu à distance, dans l’humour, vous évitez cette pente…
Oui, j’ai résisté ! Cela aurait été une grave erreur de l’adoucir. Le seul moment où je me suis autorisée l’approche d’une émotion, c’est à l’hôpital, quand la mère est malade et qu’on comprend qu’elle va mourir. Tout d’un coup, il y a comme un ramollissement du personnage de Michèle. Pas quand elle est mère, amante ou fille du père, mais fille de la mère.
Le film nous donne des éléments sur votre personnage mais aucun, pas même le meurtre du père, ne l’explique entièrement.
Oui, le film va trop vite pour ça. Tenter d’expliquer les personnages tendrait presque à rompre ce point de déséquilibre qui fait la force du récit, à le remettre dans la lenteur de la tentative d’une explication. Michèle est entièrement dans la scène au moment où elle se passe. Ce qui compte, c’est comment elle avance pas comment elle recule.
La confession par Michèle du meurtre de son père à Patrick est emblématique de ce refus de figer votre personnage dans l’explicatif : vous nous baladez entre l’horreur, l’humour, le doute, l’émotion…
Là encore, on n’allait pas tomber dans un récit doloriste. Michèle a pris de la distance, c’était le seul moyen pour elle de survivre à son passé. Elle nous sert tout ça avec un humour ravageur, un peu comme si elle nous tendait une assiette de poison en nous disant : «Vous en reprendrez bien un peu ?» Djian n’y va pas avec le dos de la cuillère : le père a tué 70 petits enfants et elle doit vivre avec cet opprobre, ce désastre. Dans le roman, elle n’était pas là lors du meurtre. Dans le film, non seulement elle est présente, mais le reportage à la télévision sous-entend qu’elle aurait pu y prendre part… Je n’y ai pas pensé. D’une manière générale le film – comme le livre d’ailleurs – accumule une telle galerie d’événements que je ne m’attachais pas à ce qui avait pu précéder ces événements. Ce qui compte ce ne sont pas ses réactions au passé, mais au présent.
On peut se dire que lors de l’agression dans la cave, elle rejoue le traumatisme qu’elle a vécu avec son père, puis avec son violeur la première fois, mais en en maîtrisant d’une certaine manière le déroulement et la violence…
Oui, disons que le viol déclenche en elle un désir de violence, qui sans doute sommeillait en elle depuis sa plus tendre enfance et, en bonne manipulatrice, c’est elle qui sait orchestrer tout ça. Même si elle sait aussi que tout en elle a été profondément perturbé par ce viol. Elle n’en sort pas indemne.
Incarner une femme qui prend du plaisir avec son violeur vous posait-il problème ?
Encore une fois, le film est un conte. Le conte mène au fantasme. L’effet de réel est modifié, altéré. Dans un conte tout est exagéré, donc tout est possible. La morale est priée d’aller voir ailleurs. Un jeu s’instaure entre elle et son violeur, c’est son choix.-
En quoi Verhoeven, cinéaste hollandais qui a travaillé à Hollywood filme-t-il différemment d’un cinéaste français?
Il a une science du rythme, du mouvement, et il n’hésite pas à mélanger les genres sans se soucier s’il fait un portrait de femme, la sociologie d’une époque ou un film de genre, un thriller. Je ne dis pas qu’un cinéaste français ne le ferait pas, mais disons on serait plus surpris qu’il le fasse !
Le film ose parfois le romantisme, notamment dans la scène où Patrick aide Michèle à fermer les volets…
Dans tous ses films, il joue constamment avec les codes, les détourne, s’en sert au moment où il en a besoin puis les abandonne. Il ne tombe jamais dans le piège que son film prenne un tournant dont il ne revienne pas.
Contrairement au roman de Djian, Michèle travaille dans les jeux vidéo, non pour le cinéma.
Verhoeven se sert de la fantasmagorie des jeux vidéo comme prolongement contemporain de la dimension du conte. Un mélange de violence et de sexe comme un écho allégorique à toute l’histoire du film.
Les hommes n’ont pas forcément le beau rôle, notamment Robert, l’amant de Michèle, auquel elle dit : «C’est ta bêtise qui m’a séduite !»
Oui, les hommes en prennent pour leur grade ! Le fils, le mari, l’amant, même le violeur. Mais ces hommes faibles, parfois jusqu’à la veulerie, ne sont pas pour autant méprisés, ni méprisables, leur désarroi et leur vulnérabilité nous les rendent attachants. Mais c’est un fait : Michelle est une femme forte, une femme de sa génération qui a accédé au pouvoir. Pouvoir économique, sexuel, social, une petite révolution qui révèle la faiblesse des hommes.
À la fin du film, Michèle et Anna s’éloignent ensemble. Jusqu’où ?
Oui, elles s’éloignent mais dans un cimetière tout de même, pas dans un champ de roses ! Alors où ? Je ne sais pas, en tout cas ensemble…
Propos recueillis par Claire Vassé (SBS)
Découvrez ci-dessous la bande-annonce d’«Elle» :
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