Festival de Cannes : strass, paillettes et politique

Mi-mai 1968, les cinéastes perturbent le festival en solidarité avec la révolte étudiante secouant Paris © Isopix
Alice Kriescher Journaliste

Alors que la 74 e édition du festival de Cannes se tiendra du 6 au 17 juillet, retour sur les incidents politiques qui ont terni la vitrine du 7e art, dans un documentaire intitulé «Le Festival de Cannes : une affaire d’État(s)», diffusé ce samedi à 20h40 sur La Trois.

«Le festival de Cannes est un no man’s land apolitique», a un jour déclaré Jean Cocteau. L’histoire ne lui a pas donné raison. Durant les vingt-six premières années de son existence, les conflits mondiaux ont éclaboussé le Festival et orienté sa sélection.

Faux départ

Dans le courant des années 1930, émerge en France l’idée d’organiser un «autre» festival international du cinéma. Son but ? Concurrencer l’unique événement du genre à l’époque : la Mostra de Venise. Ce dernier est devenu infréquentable du fait de l’influence exercée par les régimes fascistes.

C’est Philippe Erlanger, haut-fonctionnaire et écrivain français, qui soumet l’idée au ministre chargé de la culture. Ce dernier accepte et la ville de Cannes est choisie pour «son ensoleillement et son cadre enchanteur». La date de la première édition est fixée au 1er septembre 1939. Mais l’enthousiasme est stoppé net par le début de la Seconde Guerre. Les festivités auront bel et bien lieu… en septembre 1946.

Palme froide

Dix ans plus tard, l’édition 1956 subit de plein fouet le contexte mondial de la guerre froide. L’événement ressemble alors plus à un casse-tête diplomatique qu’à une fête du 7e art. «La Chine communiste et l’Allemagne de l’Est n’y sont pas reconnues comme puissances et y assistent en tant que simples observateurs», détaille France Culture. «Les Allemands de l’Ouest plient bagage pour cause de film refusé. Les Anglais retirent un de leur film pour ne pas déplaire aux Japonais, les Finlandais retirent le leur pour ne pas déplaire aux Russes, et les Polonais pour ne pas déplaire aux Allemands…».

Un an plus tôt, en 1955, c’était le réalisateur Alain Resnais qui avait fait les frais d’un jeu d’influence politique en voyant son court métrage «Nuit et brouillard», traitant des camps de concentration, retiré de la compétition afin d’éviter un incident diplomatique entre la France et l’Allemagne.

68, année chaotique

En mai 1968, Paris est le cadre de manifestations étudiantes qui défient l’autorité et réclament plus de libertés. La contestation menace de s’étendre dans une France qui gronde. Dans le monde du cinéma, le renvoi d’Henri Langlois, fondateur et directeur de la Cinémathèque Française, par le ministre de la Culture, André Malraux, provoque l’émoi sur la Croisette.

Le 18 mai, tout s’emballe. Plusieurs artistes et réalisateurs exigent la suspension du festival en soutien aux étudiants. Le même jour, «Peppermint Frappé» de Carlos Saura doit être projeté. François Truffaut, Claude Berri et Jean-Luc Godard montent sur scène pour empêcher la séance. Saura lui-même, s’accroche aux rideaux pour masquer l’écran. C’est le pugilat. Le lendemain, un communiqué annonce la clôture prématurée du festival.

Propagande sur pellicule

De la création du festival jusqu’en 1972, tous les films projetés devaient être auparavant validés et sélectionnés par leur pays producteur. Dès lors, ces œuvres triées sur le volet par les gouvernements deviennent des vecteurs idéologiques et la censure est légion. Jusqu’à ce que la règle soit abolie.

«Pas moins de vingt-neuf films ont été officiellement censurés, coupés au montage ou mis hors concours selon le règlement qui obligeait les œuvres présentées à « ne pas porter atteinte au sentiment national » des autres pays en compétition», relate le documentaire de La Trois.

Et aujourd’hui ?

L’angle féministe remue le festival pratiquement chaque année. En cause, la sous-représentation de la gent féminine. Depuis sa création, une seule réalisatrice a remporté la Palme d’Or : Jane Campion pour «La Leçon de Piano», en 1993.

En 2018, 82 femmes (actrices, réalisatrices et techniciennes) ont monté les marches pour réclamer l’égalité salariale. Sous la pression du mouvement «MeToo», le délégué général du festival, Thierry Frémaux, a assuré que la compétition serait désormais paritaire, tant au niveau du comité de sélection (comptant désormais quatre hommes et quatre femmes) qu’au niveau du jury. À voir…

Cet article est paru dans le Télépro du 17/6/2021

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