Femme d’abord : elles assument leur refus de maternité

Renée Zellweger («Bridget Jones»), 52 ans, «n’a jamais envisagé la maternité comme une étape importante dans sa vie de femme» © Isopix
Aurélie Bronckaers
Aurélie Bronckaers Journaliste

Le choix de ne pas vouloir d’enfant est un phénomène de société sur lequel les spécialistes s’interrogent. De plus en plus de femmes, elles, assument et refusent les diktats.

En Belgique, l’année 2020 a vu une baisse exceptionnelle des naissances de près de 3% par rapport à l’année précédente. C’est l’une des conséquences de la crise sanitaire et du confinement. Mais en réalité, la fécondité ne cesse de diminuer chez nous depuis 2010. Instinct maternel inexistant, allongement des études, priorité à la carrière, peur des responsabilités ou angoisse écologique, multiples sont les raisons pour lesquelles les femmes ne souhaitent pas goûter à la maternité.

Pression sociale

En 2018, une étude menée par la Vrije Universiteit Brussel (VUB) indiquait que 13 % des jeunes Belges de 25 à 35 ans ne voulaient pas d’enfant (contre 7 % en moyenne dans l’Union européenne). Sujet tabou ! Car il est difficile de revendiquer le refus de materner sans subir – surtout quand on est femme – questions et remarques culpabilisantes. Auxquelles les stars n’échappent pas non plus. Jennifer Aniston, 52 ans, déteste «cette pression infligée aux femmes qu’on considère en échec parce qu’elles n’ont pas procréé. Ce n’est pas juste !» Pour la comédienne Laure Calamy («Dix pour cent»…), «selon le regard culpabilisant de la société, une femme complète est forcément maman ! Qu’on fiche la paix aux gens qui n’ont pas ce désir ! On rend service à l’humanité en n’ayant pas d’enfant. Il y a trop de monde sur cette planète.»

Avenir nébuleux

Car la conscience écologique serait l’une des raisons qui dissuadent d’enfanter. La chanteuse et actrice américaine Miley Cyrus, 29 ans, constate : «On en demande toujours plus à la nature. On hérite d’une planète malade que je refuse de transmettre !» Les «Ginks» pour «Green inclinations, no kids», comprenez «Engagement vert… pas d’enfants», ont renoncé à fonder une famille pour sauver une planète surexploitée et faire face à l’explosion démographique. Le mouvement, né aux États-Unis au début des années 2000, bien que marginal, a fait des petits en Europe.

La carrière

Être mère est chronophage. Et pour certaines, une entrave à la carrière. Selon la comédienne Valérie Lemercier , «il faut parfois choisir entre une grossesse et un spectacle». C’est ce que font certaines Allemandes. Les «rabenmutters» – «mères corbeaux», à traduire par mères indignes – sont celles qui tentent de conjuguer vie familiale et vie professionnelle. Alors pour éviter les jugements, les jeunes choisissent de ne pas être mères… Comme la star de «Bridget Jones», Renée Zellweger (52 ans), qui, de son côté, n’a jamais fait de la maternité une étape importante dans sa vie de femme. Un choix revendiqué !

L’instinct maternel ? Un mythe !

L’anthropologue Françoise Héritier l’expliquait, en 1996, dans son ouvrage «Masculin/Féminin. La pensé de la différence» (Éd. Odile Jacob) : l’instinct maternel n’est pas une donnée biologique, mais une création socioculturelle. Pour Béatrice Dalle, 56 ans, «avoir un enfant, c’est prendre perpète ! Je ne veux être dépendante de rien ni de personne. C’est impossible.» Au micro du podcast The Goop, de Gwyneth Paltrow, l’animatrice, productrice et actrice américaine Oprah Winfrey révélait avoir pris la même décision par manque d’instinct maternel. Dans une société où enfanter reste une norme dominante, celles qui refusent de biberonner doivent constamment se justifier…

Un peu d’histoire

«Il y a toujours eu, dans l’histoire, des femmes et des hommes qui ne voulaient pas d’enfant», explique Anne-Sophie Crosetti, chercheuse en sociologie à l’Université Libre de Bruxelles. Ce sont les notions de désir, de liberté qui sont récentes, l’enfantement ayant longtemps été un «devoir», une évidence indiscutable, une contrainte sociétale. La pilule et l’interruption volontaire de grossesse ont changé la donne. «Dès les années 1970, des mouvements se revendiquent «childfree». Les moyens de contraception sont plus répandus, ainsi que la planification familiale. La sexualité est alors dégagée de la reproduction et la conjugalité de la parentalité.» Mais ce non-désir de procréer remonte bien avant le siècle dernier. Au cours de l’Histoire, nombre de femmes ont fait le choix de la non-maternité par le biais de stratégies d’évitement, qui consistaient, par exemple, à rentrer dans les ordres, devenir domestiques, cuisinières ou femmes de chambre. La société demandait également aux institutrices et infirmières de ne pas procréer.

Chloé Chaudet : «Des enfants ? Sans façon…»

Auteure de «J’ai décidé de ne pas être mère», la professeure de littérature Chloé Chaudet raconte, dans un essai, son cheminement intime et le combat qu’elle mène contre les normes sociales. Rencontre.

Depuis quand savez-vous que vous ne voulez pas être mère ?

Il n’y a pas eu de moment T. Cela s’est construit au fil des expériences, de mon parcours. Le fait de rencontrer un homme qui ne voulait pas d’enfant a été déterminant, tout comme le choix de mon métier.

Concilier vie de famille et carrière est un obstacle pour beaucoup de femmes.

C’est sûr, il est difficile pour les mères travaillant à temps plein de concilier les deux. En France, les données sociologiques montrent que dans 80 % des couples hétérosexuels ayant un ou plusieurs enfants, le rôle de «parent» est assuré par la femme. Et ces données n’évoluent pas dans la jeune génération ! Cela s’est encore vu pendant la crise sanitaire. Or, tant qu’une parentalité partagée ne sera pas construite, elle sera essentiellement à la charge de la femme.

Vous dédiez ce livre à votre sœur Elsa…

Je termine l’ouvrage sur un appel à une sororité plus assumée. Pourquoi ne pas commencer par ma propre sœur ? Quand on est une jeune femme qui ne sait pas si elle aura ou non des enfants, s’ouvrir à d’autres témoignages est essentiel. Il y a beaucoup de femmes qui s’interrogent, et ce doute n’a pas encore sa place dans notre société… Or, montrer que l’intimité et le politique s’entrecroisent, s’influencent mutuellement, est important. J’aurais bien aimé à son âge avoir ce type d’outils.

Qu’avez-vous à dire aux personnes qui subissent la pression sociale de la maternité ?

Ce n’est pas leur faute si elles subissent ce type de pression. Elles sont minoritaires et doivent donc «accepter» que ce qui est différent dérange. Ensuite, je leur conseillerais de prendre du recul, d’avoir la force de caractère que les personnes qui les embêtent n’ont pas. Dans mon livre, j’évoque deux techniques. Quand on me demande pourquoi je ne veux pas d’enfant, je réponds avec un grand sourire «Sans façon, merci». Une réponse polie et irrévérencieuse montrant que j’ai réfléchi à la question. L’autre astuce est d’essayer de comprendre ce que la personne projette sur vous. La question «N’as-tu pas peur de vieillir seule ?» revient souvent. Les interroger gentiment sur leur propre solitude permet d’échanger au-delà de la simple question des enfants.

À lire : Chloé Chaudet, «J’ai décidé de ne pas être mère», 240 pages, 19 € (L’Iconoclaste)

Cet article est paru dans le Télépro du 9/12/2021

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