Elizabeth II : l’adieu à une icône royale mondiale
«Our hearts are broken» («Nos cœurs sont brisés») a titré le journal Daily Mail, le 9 septembre, après le décès de la reine Elizabeth II, se faisant ainsi le porte-parole des sujets britanniques. Et de toute personne dans le monde pour laquelle elle était un exemple.
«Je déclare devant vous tous que toute ma vie, longue ou courte, sera consacrée à votre service», affirmait la princesse Elizabeth, le jour de son 21e anniversaire, le 21 avril 1947. Elle ne portait pas encore la lourde couronne sur ses abondantes boucles brunes. Mais depuis l’abdication de son oncle, Edouard VIII (qui préféra renoncer au trône pour épouser sa maîtresse, Wallis Simpson, une Américaine divorcée) et l’accession au pouvoir de son père Albert, devenu le roi George VI , elle savait qu’un destin exceptionnel l’attendait. Il fut long – 70 ans de règne, dépassant en 2015 le record de son arrière-arrière-grand-mère paternelle, la reine Victoria (1819-1901, 63 ans de règne) – et jalonné de tempêtes auxquelles elle opposa toujours son incroyable stoïcisme. Et des expressions typiques : «Never complain, never explain» («Ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer») et «Keep calm and carry on» («Rester calme et continuer»), phrase née sur des affiches londoniennes durant la Seconde Guerre mondiale.
Une belle enfance
Elizabeth Alexandra Mary, alias «Lilibet» (son surnom), eut un socle solide grâce à ses dix premières années auprès de parents aimants, le duc et la duchesse d’York, et d’une petite sœur, Margaret Rose. Albert, Bertie pour les intimes, a adoré ses filles, appelant Elizabeth sa «fierté» et Margaret sa «joie». Devenu Roi en 1937, l’homme prépare son aînée à son futur rôle de reine. Ce qui les rapproche encore davantage.
Il lui confie de plus en plus de tâches. Durant la Seconde Guerre mondiale , Elizabeth devient mécanicienne et est nommée colonel honoraire des 500 Grenadier Guards de l’armée royale. Puis, à ses 18 ans, «conseillère d’État», titre lui permettant de représenter le Royaume-Uni quand son paternel est à l’étranger.
Son père, son premier pilier
En 2015, la Famille royale a dévoilé une lettre de George VI écrite, le 20 novembre 1947, à son héritière qui venait tout juste de se marier : «J’étais si fier et ravi de vous avoir si près de moi dans l’abbaye de Westminster. Mais quand j’ai tendu la main à l’archevêque, j’ai senti que j’avais perdu quelque chose de précieux. (…) Je vous ai vue grandir sous la direction habile de Maman. (…) Votre départ a laissé un grand vide (…). Je vois que vous êtes heureuse avec Philip, mais ne nous oubliez pas, c’est le souhait de votre toujours aimant et dévoué… Papa.»
Philip, une aide constante
La princesse peut alors compter sur son époux, Philip Mountbatten, cousin au troisième degré issu de la famille germano-danoise de Schleswig-Holstein Sonderburg-Glücksburg, prince de Grèce et de Danemark. Le couple fait un mariage d’amour. Leurs sentiments sont nés dès 1939, quand Lilibet avait tout juste 13 ans et son soupirant, 18 ans. Fiancés en juillet 1947, unis quatre mois plus tard, les mariés s’installent à Malte où Philip est en poste dans la marine britannique : l’occasion pour sa femme d’avoir un quotidien exempt de protocole.
Le sacre
Mais cette plénitude prend fin le 6 février 1952 : George VI meurt d’une thrombose coronarienne. Elizabeth et son mari sont en voyage au Kenya. Philip lui annonce la nouvelle lors d’une promenade. Il sera ensuite à ses côtés lors de son couronnement , le 2 juin 1953 (retransmission télévisée mondiale), et tout au long de son règne. D’où une allusion touchante de la Reine, lors d’un discours en 1997, à l’occasion de leurs 50 ans de mariage : «Il a été ma force et une aide constante.» Quand Philip disparaîtra, le 9 avril 2021, Lilibet perdra son soutien le plus précieux.
Le troisième ange gardien
Un autre homme marque son règne : son premier Premier ministre, Winston Churchill . Selon le chroniqueur Jock Colville : «Elle appréciait son expérience, son éloquence.» Le spécialiste Nicholas Davies ajoute : «Elizabeth avait beaucoup à apprendre de Churchill, 78 ans, qui voulait être son professeur, son guide et son mentor dans les relations entre la Couronne, le Cabinet, le Parlement et le peuple.» En 1955, lorsque le Vieux Lion quitte ses fonctions, son message est confiant : « J a m a i s l e s d e v o i r s augustes qui incombent au monarque britannique n’ont été remplis avec plus de dévouement que lors de la brillante ouverture du règne de Votre Majesté.» L’intéressée répond dans une missive «qu’aucun Premier ministre suivant ne sera en mesure d’occuper pareille place» et se dit «profondément reconnaissante».
Maternité : une tâche compliquée
La Reine a eu quatre enfants : Charles III , Andrew d’York, Anne du RoyaumeUni et Edward de Wessex. Quand l’aîné naît le 14 novembre 1948, le souhait le plus cher d’Elizabeth est «d’être la mère de l’enfant et de ne pas laisser cette tâche aux domestiques». Après son couronnement, cela devient impossible. Charles en garde des souvenirs amers : «Maman était une figure distante et glamour, venant vous embrasser pour vous souhaiter bonne nuit, sentant la lavande et habillée pour le dîner.»
Il fallut des années au futur roi et à sa «Mummy» pour renforcer leurs liens. Selon Jonathan Dimbleby, auteur de «The Prince of Wales : A Biography» : «Charles admire énormément sa mère. Il y a un fort respect mutuel. Et les deux partagent la même forme d’humour.» Humour que le Prince emploie enfin, en 2012, lors du Jubilé de Diamant, en prononçant «Maman» sur scène, entouré d’artistes «made in England» et devant une foule ravie. Elizabeth II quitte alors son masque de dignité et sourit.
Lady Di, le point de rupture
Mais l’héritier du trône n’a pas toujours réjouit sa mère. Notamment durant son désastreux mariage avec Lady Di. Et un épilogue choquant : la mort accidentelle de celle-ci à 36 ans, le 31 août 1997. Cette épreuve marque un tournant pour la souveraine. Refusant d’abord de mettre le drapeau de Buckingham Palace en berne et de quitter sa résidence de Balmoral, elle apprend à changer sa façon de communiquer avec le peuple, stupéfait et en colère.
Selon Ingrid Seward, chroniqueuse royale : «Diana a été la première personne à secouer la cage dorée de la monarchie. Vivante, elle avait une certaine influence. Morte, elle en avait encore plus.» Malgré ses relations délicates avec feu sa belle-fille, la Reine réalise «qu’elle doit réconforter les personnes en deuil, montrer une émotion inhabituelle en cette période difficile.» «Elle a cédé», a constaté un journaliste de la BBC. «J’ai été surpris. L’ancienne institution a évité de se retrouver du mauvais côté de l’opinion publique.»
Meghan Markle : le dernier outrage
Les grands déballages médiatiques de Diana furent les premiers, mais pas les derniers dans le microcosme royal. Près de vingt ans plus tard, la Reine doit faire face au caractère trempé de la jolie roturière qu’Harry, son petit-fils adoré, a choisi pour femme en 2018. Bien que leur mariage ait été un symbole de la modernisation de la monarchie, il fait des vagues, trop de vagues. Harry et Meghan déménagent en Californie et, comme Lady Di qui s’était confiée à Martin. Bashir, disent tout du poids de l’étiquette à la sulfureuse Oprah Winfrey.
Elizabeth ne déroge pas à son devoir de réserve et se tait. Tout juste apparaît-elle durant la pandémie de covid pour encourager ses sujets à «faire preuve de la même autodiscipline, de la détermination tranquille et de la bonne humeur qui caractérisaient les générations précédentes»…
Vers une réconciliation ?
Quand Sa Majesté Elizabeth II s’éteint, toute la famille converge à son chevet, y compris le couple Harry-Meghan qui prend un bain de foule aux côtés de ceux à qui ils ne parlaient plus guère : le prince William et son épouse, Kate. Peut-être sentent-ils qu’il leur faut reprendre le flambeau du sens de l’honneur et de l’abnégation, en souvenir d’une grande dame, décrite un jour par l’ex-Premier ministre Tony Blair comme étant «un symbole d’humanité dans un monde d’insécurité, et de continuité dans un monde où rien n’est jamais le même.»
Cette constance, la Reine en était déjà consciente lors de la crise du canal de Suez, en 1956, avec une déclaration compatissante qui reste incroyablement d’actualité : «Parce que les choses changent, je comprends que beaucoup d’entre vous soient perdus, ne sachant pas à quoi se raccrocher ni comment profiter des avantages de la vie moderne, sans rien perdre du meilleur de ce nous avons.»
Des Saxe-Cobourg aux Windsor
Les monarchies belge et britannique partagent la même lignée d’origine, les Saxe-Cobourg. Léopold Ier, premier roi des Belges, est l’oncle de la reine Victoria qui, avec plus de soixante-trois années de règne (1837-1901), a longtemps été la souveraine présentant la plus grande longévité avant d’être détrônée par Elizabeth II.
Léopold de Saxe-Cobourg avait huit frères et sœurs. Parmi ces dernières, Victoire, de quatre ans son aînée. En 1818, Victoire épouse, en secondes noces, le duc de Kent, Edward. Le couple a un seul enfant, Victoria, qui naît en 1819. Les liens avec la famille Saxe-Cobourg ne s’arrêtent pas là puisque Victoria épousera en 1840 son cousin, Albert de Saxe-Cobourg. En 1917, la maison royale britannique optera pour un changement de nom, le patronyme Saxe-Cobourg Gotha ayant une consonance beaucoup trop germanique alors que la Première Guerre mondiale n’est pas terminée. C’est désormais le nom de Windsor qui sera attaché à la couronne britannique alors qu’en Belgique, le nom officiel de la monarchie reste de Saxe-Cobourg Gotha.
Cet article est paru dans le Télépro du 15/09/2022.
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