Douglas Sirk, les mirages d’une vie
L’existence de ce cinéaste, d’abord critiqué puis encensé, fut jalonnée de tragédies. Il s’en inspira pour ses films devenus cultes. Ce lundi à 22h30, Arte dresse son portrait dans «Douglas Sirk – Le cinéaste du mélodrame».
Bien qu’il ait abordé tous les genres à l’écran, Douglas Sirk a marqué le 7 e art avec ses mélodrames, désormais considérés comme les plus flamboyants du panthéon hollywoodien.
Cœur au bord des larmes
Répétant qu’il faut «penser avec le cœur», le dramaturge et réalisateur a un jour confié au biographe Jon Halliday : «J’ai toujours voulu que mes personnages soient plus que des chiffres (sous-entendu au box-office, ndlr) pour montrer les défauts de leur univers. Et je n’ai jamais eu à creuser bien fort pour trouver une partie de moi-même en eux.» En effet, pour ceux qui s’étonneraient ou se moqueraient gentiment, encore aujourd’hui, des films gorgés de larmes de Sirk, il suffit d’observer son propre chemin et ses désillusions existentielles. Né en Allemagne dans une famille danoise érudite, en 1897, Hans Detlef Sierck se passionne pour l’humain. D’abord journaliste comme son père, il signe des pièces de théâtre, puis des films qui font l’admiration du pays. Tout change pour lui à l’approche de la Deuxième Guerre mondiale. Parce qu’il a épousé une promise juive en secondes noces, sa première femme, jalouse et nationaliste, lui interdit de revoir leur fils, Klaus, 4 ans. L’enfant blond, utilisé dans des documentaires propagandistes nazis, tourne dans les mêmes studios que son père déchiré par ce supplice.
Triomphe ironique
Désenchanté, Douglas Sirk fuit aux États-Unis avec son épouse. Sa carrière se poursuit en Californie, dans les années 1950, avec des œuvres épinglant les imperfections sociales : calomnies de voisinage, fractures familiales et amoureuses, précarité, racisme. Toutes ont des titres évocateurs : «Le Secret magnifique», «Écrit sur du vent», «Tout ce que le Ciel permet» et «Le Temps de mourir et le temps d’aimer», hommage à Klaus, son garçon mort au front à 19 ans. Les critiques ne leur réservent pas un bon accueil. «Douglas est un homme doux, trop en décalage à Hollywood», dira Ross Hunter, producteur.
Il faudra attendre une dizaine d’années pour que la France le découvre et fasse son éloge, notamment à travers la plume de François Truffaut et de Jean-Luc Godard dans Les Cahiers du Cinéma. Douglas Sirk, qui s’ennuie dans les garden-parties californiennes «où courent des invitées à moitié nues», s’exile en Suisse. Juste avant, il a tourné un dernier film, tel un testament : «Mirage de la vie» (1959). Deux femmes, l’une blanche (Lana Turner) et l’autre noire (Juanita Moore), et leurs filles respectives, tentent de s’y soustraire aux entraves de la société patriarcale d’alors. C’est un triomphe !
Ironiquement, ce long métrage et ses recettes sauvent les productions américaines Universal qui, à défaut de ne jamais avoir accepté le réalisateur, l’avaient seulement toléré. L’artiste, mort en 1987, est aujourd’hui étudié dans toutes les grandes écoles de cinéma.
Cet article est paru dans le Télépro du 23/2/2023
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