Claude Nougaro et ses «cinémots»
Vingt ans après sa mort à 74 ans, celui que l’on surnommait «le petit taureau» épate encore par sa façon de magnifier la langue française, en l’adaptant au rythme jazzy et en se racontant en filigrane. Ce vendredi à 23h10, France 3 diffuse «La Vie rêvée de Nougaro».
«Mes chansons sont mon opéra personnel qui se nourrit de ma vérité d’homme, mes passions, mes détresses, mes joies, ma chair quoi !», expliquait Claude Nougaro à La Dépêche, en 2001. Ses tubes étaient si bien écrits qu’à leur écoute, on pouvait imaginer un film pour chacun. «Moi, je prétends, avec le langage, faire du ‘cinémot’ !»
Oursin dans le caviar
Ses créations tendres ou enjouées cachaient un artiste torturé, très exigeant, anxieux, préférant travailler la nuit «lorsque la solitude devient encore plus aiguë». Peut-être le mal-être du Toulousain venait-il de ses jeunes années. Quand sa mère pianiste et son père baryton partaient en tournée, ils le confiaient à ses grands-parents, lui donnant l’impression d’être «mis de côté comme un orphelin». Ses seuls remèdes étaient alors la musique retransmise sur un vieux poste TSF et la lecture. Adulte, bien que se sentant «comme un oursin dans le caviar», l’artiste emmène ses complexes jusqu’à Paris. Et débute en lisant des poèmes au Lapin Agile, célèbre cabaret montmartrois. D’abord parolier pour ses homologues, il décide de chanter lui aussi. C’est la première de ses quatre épouses, Sylvie, et la naissance de leur enfant qui lui inspirent son premier succès : «Cécile, ma fille», en 1962.
Provocateur revêche
«Mon père écrivait ce qu’il observait», dit Théa, sa cadette, dans 20 Minutes. «Il parlait de lui, de nous, de l’humanité !» Et Nougaro n’était à l’aise que sur scène où «la vie commence à devenir du rêve». Malgré les triomphes, sa réserve le dessert. «Il n’a pas été un pro de la communication. En télé, il apparaissait revêche, provocateur ou bourré», explique Didier Varrod, directeur musical de Radio France. «Lui-même ne se sentait pas reconnu à sa juste valeur.» Pourtant, à la fin des années 1980, le poète méridional sort de la sphère des fans avertis pour rencontrer inopinément le grand public avec son nouvel album, enregistré aux États-Unis afin de prendre l’air : «Nougayork». Le titre est même joué en discothèque. Et deux Victoires de la musique viennent saluer un Nougaro revigoré.
Extravagance
Mais aujourd’hui encore, les connaisseurs regrettent que l’interprète de «Tu verras», emporté par un cancer du pancréas le 4 mars 2004, ne soit pas aussi encensé que Brel ou Brassens. Selon Yvan Cassar, qui a collaboré avec Claude sur son dernier opus, «La Note Bleue» : «Son extravagance et son surréalisme permanent ont masqué sa poésie, sa tendresse et sa pudeur.» Qu’à cela ne tienne, Théa Nougaro se dit fière de «l’œuvre merveilleuse» que son père a transmise et cite les paroles de «Visiteur» : «Passe, passe dans la vie en visiteur. C’est beau, applaudis, c’est laid, passe ailleurs…»
Cet article est paru dans le Télépro du 15/2/2024
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