«Charlie Chaplin est resté maître de son destin !»

Un documentaire exhume des archives rares du cinéaste et acteur © France 5/Roy Export Co Ltd

Après trois ans de recherche et onze mois de montage, un documentaire consacré à Charlie Chaplin (1889-1977), et constitué d’archives exceptionnelles, est diffusé sur France 5 ce vendredi à 20h55. Rencontre avec ses auteurs, Yves Jeuland et François Aymé.

Pourquoi encore un film sur Chaplin ?

François Aymé : Notamment parce que l’un des traits de génie de Chaplin est d’avoir compris très vite, à sa manière, certains grands moments historiques – le fordisme, la montée du nazisme… –, d’avoir saisi l’esprit du temps, de l’avoir anticipé, modifié, parfois d’y avoir résisté.

Yves Jeuland : Ce projet avait de quoi nous intimider. Chaplin est hors catégories. C’est le critique Louis Delluc qui disait que sa notoriété ne pouvait être comparée qu’à celle de Jésus-Christ !

Existe-t-il une institution qui veille sur son héritage artistique ?

F. A. : Oui, les descendants de Chaplin – dont les enfants de sa dernière épouse, Oona – sont représentés à Paris par le Bureau Chaplin, avec lequel nous avons été en contact étroit. Et Chaplin lui-même, en créant United Artists et ses propres studios, a pu devenir le propriétaire des droits de ses films et a fait en sorte que ces droits demeurent attachés à une structure familiale unique. Ce génie artistique fut aussi un génie économique qui a su défendre ses intérêts et les faire fructifier.

Cela paraît extraordinaire d’encore trouver des documents nouveaux sur Chaplin…

Y. J. : Nous croulions sous les documents, notamment des milliers de photos. Par ailleurs, le centenaire de Charlot en 2014 a donné lieu à une très vaste entreprise de restauration par les cinémathèques du monde entier. Et cela ne s’arrête pas, puisque Lobster Films, qui restaure de nombreux films, continue de mettre la main sur des bobines.

Aviez-vous, en entamant ce projet, l’un et l’autre «le même Chaplin» ?

F. A. : Il y a un fil rouge dans ce film : celui du courage, de l’audace, du culot… En 1918, Chaplin réalise une comédie sur la guerre. Dans «La Ruée vers l’or», il met en scène des personnages qui crèvent de faim et sont prêts à s’entretuer. Puis vient la critique du travail à la chaîne, la satire d’Hitler… Il ne se plie pas à l’introduction du cinéma parlant, refuse longtemps le Cinémascope. Il se donne le droit de devancer ou de refuser les usages en cours. Et tout comme il est maître du scénario, de la réalisation, du choix des comédiens, de la production, il est aussi maître de son destin.

C’est pour cette raison qu’il a refusé de prendre la nationalité américaine ?

F. A. : Fritz Lang, Marlene Dietrich, Alfred Hitchcock, tant d’autres sont devenus américains, lui a maintenu son indépendance en dépit des pressions. Et l’opinion publique américaine ne le lui a pas pardonné. En plus de l’accuser d’être un communiste, elle lui a reproché de manquer de reconnaissance, de s’être enrichi grâce à Hollywood (qui a également prospéré grâce à lui !). Cela dit, il y a aussi l’explication qu’avançait Charles Chaplin Jr. (le fils aîné) selon laquelle son père redoutait en secret de se plier, pour obtenir la nationalité américaine, à des tests de culture générale, de langue…, lui qui n’avait pas fait d’études et a toujours nourri un fort complexe, notamment en ce qui concerne sa maîtrise du langage écrit.

Ce Chaplin mal à son aise, on le voit dans certaines des archives que vous montrez…

Y. J. : Dans les films tournés par des amis, la famille…, il fait souvent le pitre devant la caméra : on sent qu’il est constamment en représentation, qu’il fait ce qu’on attend de lui, comme s’il tentait d’échapper aux postures et aux conversations sérieuses. Dans les années 1920 ou lorsqu’il est octogénaire, il fait toujours la même chose. C’est émouvant. 

Cet article est paru dans le Télépro du 30/12/2021

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