Cannes : huées, scandales et sifflets

En 1987, le poing levé sous les huées du public, Maurice Pialat reçoit la Palme d’Or pour «Sous le soleil de Satan» © Getty Images

Le coup de sang de Will Smith a réveillé les Oscars qui, comme les César, manquait de… punch. Qu’en sera-t-il de Cannes 2022, écrin où esclandres et stars se disputent toujours la vedette ?

Le festival le plus attendu promet un air revigorant : Tom Cruise pour la suite de «Top Gun», Virginie Efira et son élégance sensuelle en maîtresse de cérémonie et Vincent Lindon en président du jury de cette 75 e édition dont la cérémonie d’ouverture est diffusée mardi sur France 4. Les aficionados, eux, attendent du bon, du grand spectacle. Et, si possible, quelques coups d’éclat…

La nausée

À Cannes, chacun fait «son cinéma» d’une manière ou d’une autre. «Titane», de Julia Ducournau, Palme d’Or, a provoqué un scandale bien huilé, en juillet 2021 (la pandémie ayant décalé les dates). Le public qui découvrait cet ovni, en sortait soit enthousiaste, soit nauséeux tant la fiction lui était insoutenable. Ce récit ultraviolent, où Lindon campe un pompier dépressif et Agathe Rousselle une jeune et froide tueuse en série, a été classé «interdit aux moins de 16 ans» et a dérangé pas mal de monde. Comme tant d’autres œuvres avant lui, tombées du balcon, puis… hissées au panthéon.

Sordides et vulgaires

Durant les sixties, la mythique «Dolce Vita» (Federico Fellini), condamnée par le Vatican, et la blasphématoire «Viridiana» (Luis Buñuel) font déjà s’étouffer certains spectateurs. Des «broutilles» comparé aux réactions après la projection, en 1973, de «La Grande Bouffe» (Marco Ferreri). Dénonçant le consumérisme, les protagonistes s’y empiffrent jusqu’à en trépasser après maints pets et rots. Au sortir, l’équipe du film essuie les vomissures verbales. La présidente du Jury Ingrid Bergmann dit, elle, son dégoût pour «La Maman et la Putain» (de Jean Eustache) : «Il est regrettable que la France ait cru bon de se faire représenter par les films les plus vulgaires et sordides.» Les années 1980 voient un Maurice Pialat et son «Sous le Soleil de Satan» conspués. Le cinéaste lance aux détracteurs la célèbre réplique : «Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus !»

La pente de la haine

Les décennies suivantes assurent le relais. En 1996, il faut l’aplomb de Jean-Claude Brialy, applaudissant debout, pour calmer les huées quand Pascal Duquenne, acteur trisomique remarquable, décroche avec Daniel Auteuil le Prix d’interprétation masculine pour «Le Huitième Jour» (de Jaco Van Dormael). Gus Van Sant prend une volée de bois vert, en 2015, avec «La Forêt des Songes – Nos Souvenirs», suivie, en 2016 par l’accueil virulent réservé au jeune Xavier Dolan et son huis clos sur la mort, «Juste la fin du monde». «Cannes devient un festival sifflant qui descend la pente de la haine !», dit-il.

Nouveaux subversifs…

Critiques, cinéphiles et badauds attendent, cette année, les nouveaux subversifs, dont «Les Nuits de Mashhad» (d’Ali Abbasi) où un père de famille iranien assassine les prostituées des environs, ou «Crimes of the Future» où David Cronenberg retrouve l’un de ses thèmes favoris, le «body horror» qui maltraite le corps humain. «Les sifflets sont le propre des œuvres importantes», disait le producteur Daniel Toscan du Plantier. Ouvrez donc bien grands les yeux et les oreilles…

Cet article est paru dans le Télépro du 12/5/2022

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