Bruno Cremer, colosse aux pieds d’argile
Sa silhouette imposante lui a valu des rôles de flic, de militaire ou de baroudeur. Cette façade en roc cachait un électron libre sensible. Ce vendredi à 20h35, La Trois diffuse le documentaire «Le Mystère Cremer».
«Sa carrure était plébéienne. Des muscles durs ressortaient sous sa veste. C’était un bloc solide», disait le romancier belge Georges Simenon à propos de sa création, le commissaire Jules Maigret. Cette description aurait aussi pu décrire l’acteur Bruno Cremer qui, après de belles partitions au théâtre et au cinéma, a arboré le chapeau et l’imper du célèbre policier.
Vocation précoce
Bruno Cremer avait d’ailleurs des origines belges : une mère issue du Plat pays et un père qui avait demandé cette nationalité après la guerre. Né en banlieue parisienne en 1929, le garçon peine à l’école et souhaite devenir acteur dès l’âge de 12 ans en s’inventant d’autres vies devant le miroir.
Ce chemin tout tracé lui évite de s’égarer. «Sans cela, je ne sais pas ce que j’aurais fait», confiera-t-il dans son autobiographie, «Un certain jeune homme». «J’ai joué très tôt, mimant la colère ou la tristesse pour gagner la sympathie.»
Il trouve celle-ci au Conservatoire de Paris, avec ses potes Belmondo, Marielle et Rochefort. «On était une bande qui ne se prenait pas au sérieux !»
Le comédien garde cette simplicité malgré une carrière féconde. Sur les planches, avec des pièces de Wilde, Shakespeare, Anouilh. Et à l’écran, où Pierre Schoendoerffer lui offre le premier rôle de «La 317e section» (1964). Suivront d’autres emplois d’homme fort, tel le Colonel Rol-Tanguy de «Paris brûle-t-il ?», de René Clément.
Secret et fragile
L’artiste à la gueule cassée et à la lèvre balafrée – souvenir d’un accident de vélo à 7 ans – se lasse quelque peu : «Des rôles de baroudeur, j’en ai refusé ! En fait, je suis quelqu’un de fragile. J’ai laissé venir en faisant le tri, en me demandant si, à force de refus, je n’allais pas passer pour un emmerdeur !»
Ce n’est heureusement pas ce que pensent Costa-Gavras, Luchino Visconti ou Claude Lelouch. Claude Sautet le filme en tendre partenaire de Romy Schneider pour «Une histoire simple» (1978). Jean-Claude Brisseau fait de lui le prof de philo incapable de résister à la jeune Vanessa Paradis dans «Noce blanche» (1989).
Très populaire, Bruno Cremer reste en retrait : «De sa vie privée, il ne faut rien dire ! Je déplore le penchant de certains artistes à abuser de leur notoriété pour intervenir sur des sujets qui ne les regardent pas !»
Seul le travail acharné compte. À la fin de sa carrière, il est le 16e acteur à incarner «Maigret». De 1991 à 2005, il en fait une figure emblématique, toujours grâce à son besoin de rester libre : «Je n’ai gardé que ce qui me convenait, en gommant le côté vieillot, pantouflard. Mon seul regret : ne pas avoir obtenu de lui faire fumer le cigare et non la pipe !»
Bruno casse la sienne en août 2010, à 80 ans, emporté par un cancer de la langue et du pharynx. Car lui aussi appréciait le côté mystérieux des volutes bleues.
Côté famille
Le comédien a eu trois enfants. Son fils, le poète Stéphane Crémer (68 ans), est issu d’un premier mariage avec une comédienne du Conservatoire. Après quinze ans de célibat, Bruno Cremer aura deux filles (Constance et Marie-Clémentine) de Chantal Hillion, psychiatre, son épouse depuis décembre 1984.
Cet article est paru dans le Télépro du 15/9/2022
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