Bertrand Blier, cinéaste de l’anticonformisme et de l’humour noir

Le réalisateur Bertrand Blier lors d'une cérémonie marquant le 70e anniversaire du Festival de Cannes, le 20 septembre 2016 à Paris

Il était l’anticonformiste du cinéma français: Bertrand Blier, décédé lundi soir à l’âge de 85 ans, a enrichi le septième art, en un demi-siècle de réalisations, d’une forme inédite d’humour noir et de provocation sous sa plume de dialoguiste hors pair.

Pour toujours, le nom de Bertrand Blier restera associé à ceux de Gérard Depardieu et de Patrick Dewaere. C’est par l’aventure commune des « Valseuses », subversif coup d’essai devenu film culte mais reste aussi une oeuvre critiquée notamment pour sa misogynie, que les trois hommes et l’actrice Miou-Miou ont vu leur carrière décoller en 1974. 

Blier, qui adapte alors son propre roman, met en exergue le conflit des générations dans la France conservatrice de Pompidou. Depardieu et Dewaere incarnent un duo de désœuvrés qui croise la route d’autres marginaux (Miou-Miou, Jeanne Moreau…) : tous sont en quête de libération sexuelle. 

S’il n’a pas été primé, probablement en raison de son insolence crue, ce film aura néanmoins permis à Bertrand Blier de se faire un prénom. Jusqu’alors, le cinéma français connaissait et aimait beaucoup le père, Bernard, figure imposante des comédies de Guitry, Lautner ou Audiard. Désormais, il apprendra à connaître et finalement apprécier aussi le fils, Bertrand, toujours prêt à bousculer la morale.

Né le 14 mars 1939 à Boulogne-Billancourt, il aimait parler de son père, à qui il devait sa vocation et sa formation. « Je suis né au milieu des livres et mon père, en tant que grand acteur, c’était déjà de la culture en mouvement », disait-il, ajoutant : « je suis fils à papa, mais pas forcément un enfoiré ».

Le fils de…

Cependant Bernard n’est pas totalement le modèle de Bertrand, notamment pour ce qui est de la politique. « Je suis né le cul dans le beurre, avec un père qui était de gauche et qui a glissé tout doucement vers la droite ». Lui, non.

Après « Les Valseuses » et « Calmos », qui égratigne la vague féministe, avec un autre duo à potentiel comique fort, Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort, les succès s’enchaînent.

Il remporte en 1979, l’Oscar du meilleur film étranger pour « Préparez vos mouchoirs », avec une nouvelle fois Depardieu et Dewaere, incapables de satisfaire une femme, en l’occurrence Carole Laure.

L’année suivante, il reçoit le César du meilleur scénariste pour « Buffet froid ». Dans ce film, où l’absurde et le surréalisme sont portés par un humour glacial, son père joue pour la dernière fois sous sa direction, aux côtés de Depardieu et Jean Carmet.

Misanthrope, irrévérencieux, férocement drôle et dérangeant, mais tendre parfois aussi, tel s’affirme le cinéma de l’iconoclaste Bertrand Blier, qui ne ressemble pas aux autres, même si on le situe quelque part entre Luis Bunuel ou Jean-Pierre Mocky. L’air bougon, avec son crâne dégarni et sa pipe au coin de la bouche, il se plaît à mettre en scène des marginaux: voyous, policiers malheureux, prostituées.

« On rigole avec les copains »

Après « Beau-père », en 1982, sur des rapports familiaux troubles, il provoque de nouveau avec « Tenue de soirée » (1986), qui aborde l’homosexualité et le « trio amoureux ». Michel Blanc, pour qui il cosignera le scénario de « Grosse fatigue » (1994), y brille aux côtés des habitués Depardieu et Miou-Miou.

Le temps des récompenses françaises vient avec « Trop belle pour toi » (1989), Grand Prix du Jury à Cannes et qui lui apporte quatre César (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, et meilleure actrice pour Carole Bouquet).

Les années 1990 et 2000 sont celles des échecs commerciaux et Blier peine à trouver des financements. « Les Acteurs » (1999) perd ainsi une demi-heure au montage, faute de budget, et la sauce ne prend pas malgré un casting quatre étoiles (Depardieu, Belmondo, Delon, Arditi, Dussolier…).

En 2010, il retrouve sa veine surréaliste avec « Le bruit des glaçons » sur le cancer, où un écrivain alcoolique (Jean Dujardin) « dialogue » avec sa maladie qui prend la forme d’un homme, joué par Albert Dupontel.

Se faisant plus rare, il réapparaît en 2017, adoubant un projet musical pour lequel le duo Cabadzi reprend sur fond de musique électro des extraits de dialogues de ses films.

En 2018, il réalise « Convoi exceptionnel », son dernier film, le neuvième avec Depardieu. « Le tournage, c’est un moment merveilleux où l’on est complètement irresponsable, où l’on se prend pour Dieu et où l’on rigole avec les copains », disait-il en 2011 à l’AFP.

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