BD : de l’érotique à l’hérétique, Milo Manara adapte « Le nom de la Rose »
Le maître de la bande dessinée érotique Milo Manara met en image le polar hérétique d’Umberto Eco, « Le nom de la Rose », « une cathédrale » de la littérature qu’il a taillée comme le sculpteur un bloc de marbre.
Le premier tome de cette adaptation en deux volumes est paru en mai en Italie chez Oblomov, se classant d’emblée numéro 1 des ventes de BD. Il sortira en septembre en français chez Glénat.
« Je me suis retrouvé face à une cathédrale. L’enjeu était d’identifier les murs porteurs et d’enlever des pierres sans la faire s’écrouler, retirer ce qui n’était pas indispensable à sa stabilité », explique Milo Manara à l’AFP.
« Il faut tailler, comme Michel-Ange le disait du marbre », dit-il dans un entretien téléphonique depuis son atelier près de Vérone, dans le nord de l’Italie.
Le best-seller d’Umberto Eco, publié en 1980 et traduit en plus de 40 langues, se passe en 1327 et met en scène Guillaume de Baskerville, un moine franciscain érudit et rationnel, qui enquête sur une série de meurtres dans une abbaye des Alpes italiennes, en compagnie d’un jeune novice bénédictin, Adso de Melk.
Le récit de l’écrivain et essayiste italien est ancré dans un Moyen-Âge barbare, où l’Inquisition expie et torture les hérétiques succombant à la luxure, au doute mystique, aux hallucinations.
« Le Moyen-Âge est une période de grande ignorance sur le plan scientifique mais riche de fantasmes, un délire de fantasmes qui suppléait au manque de connaissances. Avec ces fantasmes, ils inventaient ce qu’ils ignoraient », explique Milo Manara.
Porté au cinéma par Jean-Jacques Annaud en 1986 avec dans le rôle-titre Sean Connery, « Le Nom de la Rose » été adapté au théâtre, en série TV et doit rencontrer l’opéra en 2025 grâce à la Scala de Milan et à l’Opéra de Paris.
Milo Manara a prêté les traits de Marlon Brando à Guillaume de Baskerville. « Il fallait une figure forte après Sean Connery et Brando a cette puissance dans l’imaginaire collectif, à la même enseigne que Brigitte Bardot », qu’il a croquée dans des aquarelles s’arrachant aujourd’hui à prix d’or sur le marché de l’art.
Un roman actuel
La première victime de la série de meurtres dans le roman est Adelmo da Otranto, un jeune calligraphe employé à dessiner des enluminures. Enluminures qui se prêtent particulièrement bien à la BD : alors que le coeur du récit est graphiquement ténébreux, volontairement sobre, les couleurs (réalisées par la fille de Manara, Simona), vives, exaltent les rêveries d’Adelmo dont l’esprit et la plume engendrent des orgies de démons et d’humains dévorés par la violence et le stupre.
« Le nom de la Rose » est un roman « d’une extrême actualité », affirme Milo Manara. Accumulée notamment par les pillages de l’Inquisition, « la richesse de l’Eglise face à la pauvreté du peuple, c’est-à-dire la question de la concentration des richesses, on ne fait pas plus actuel ».
« Il y a aussi la vision des femmes, cause de la perdition des hommes », femmes tentatrices incarnées dans la BD par l’apparition au jeune Adso d’une jeune femme rousse nue qui rappelle les premières amours artistiques du dessinateur italien, auteur du best-seller érotique « Le déclic ».
Et, en filigrane, la sexualité des religieux : « Le procès de l’Eglise [catholique] est en cours sur ce plan, le célibat obligatoire des prêtres pourrait être mis en question », avance Milo Manara.
Légende de la BD qui a collaboré avec son ami Hugo Pratt et Federico Fellini, proche de Georges Wolinski tué dans l’attentat jihadiste contre Charlie Hebdo, il dit certes lire de la BD contemporaine, « mais à mon âge [77 ans], je reste attaché aux grands noms » du 9e art, admet-il, citant Moebius (Jean Giraud) ou Jacques Tardi.
« Je suis lié aux grands auteurs qui ont contribué à faire de la bande dessinée ce qu’elle est aujourd’hui, qui lui ont donné un rang, une dignité culturels qu’elle n’avait pas » avant eux.
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