Arletty ou la mauvaise voix
L’artiste gouailleuse détestait sa voix mythique ! Mais la chanteuse, meneuse de revue, actrice de films culte adora sa vie de femme libre.
Il suffit d’entendre : «Atmosphère, atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? !» pour que chacun se remémore la petite brune Parisienne qui a marqué la pellicule noir et blanc de son talent spontané et son caractère trempé.
Arletty (1898-1992), l’une des premières stars du 7e art français d’avant et après-Guerre, fut aussi célèbre pour ses citations-choc, ses prises de position et son idylle avec un soldat allemand.
Ce vendredi, France 5 lui consacre la soirée entière avec le spectacle «Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?» à 20h55, suivi à 22h25 du documentaire «Arletty-Soehring : Hélas, je t’aime».
Arlette défile, Arletty s’affirme
Amusé par son autorité naturelle, son père l’avait surnommée «p’tit gars». Léonie Marie Julia Bathiat naît en 1898 en banlieue et fait son éducation dans l’enseignement religieux.
Ses modestes parents la destinent au métier de secrétaire, très prisé au début du XXe siècle. Peine perdue, Léonie a d’autres ambitions : être une femme libre et moderne.
Sous le pseudo Arlette, en référence à une héroïne de Maupassant, elle débute à la capitale comme mannequin pour Paul Poiret : un symbole car ce couturier supprima le corset des dames ! Elle anglicise son nom pour chanter dans les revues de chez Rip, célèbre chansonnier-humoriste.
Mais au théâtre, elle conserve l’accent appuyé des faubourgs, celui des gens simples, francs du collier et sans gêne. Son ami Henri Jeanson, journaliste et scénariste, dira : «Elle a trouvé son style sans le chercher !». Les pontes du cinéma la réclament. La voici, construisant sa légende, sans le savoir, aux côtés des Sacha Guitry, Marcel Carné, Louis Jouvet, Gilles Grangier…
Sans-gène, la Biche et le Faune…
À l’écran, Arletty devient pour la postérité Mme Raymonde («Hôtel du Nord»), «Madame sans-gêne» (adapté de son rôle au théâtre) et la magnifique Garance («Les Enfants du paradis»). Elle refuse de voir les rushes des tournages : «Ma photo sur les murs ou me voir à l’écran, quel supplice ! D’abord, ça sert à rien. C’est fait, c’est filmé, trop tard pour se corriger. Et puis… ma voix m’agace !»
La vie lui donne des rôles autrement plus complexes. Son premier amour, surnommé « Ciel » pour ses yeux bleus, meurt à la Guerre 14-18. Elle jure alors de ne jamais se marier afin de ne pas être veuve.
La Seconde Guerre l’amène à croiser l’officier Hans Jürgen Soehring de la Luftwaffe, 32 ans. Elle a dix ans de plus que lui mais en tombe éperdument amoureuse. Parce qu’il a les oreilles en pointe, Arletty le surnomme Faune. Lui, l’appelle Biche. Leurs lettres tendres montrent une vraie passion.
«Pas très résistante»
Mais à la fin de «l’Occupation», elle est arrêtée par «l’Épuration» pour «collaboration horizontale». L’actrice garde son humour cinglant : «Je n’ai pas été très résistante…».
Hélas, après la Libération, sa carrière est brisée. Si elle continue de fréquenter les théâtres et studios de cinéma, elle joue des partitions mineures. Atteinte de problèmes oculaires la rendant quasi aveugle, l’artiste quitte à jamais les planches en 1966 et la vie en 1992.
Les Français mettent de côté les heures sombres d’Arletty pour se souvenir de ses grands rôles et de ses chansons, toutes pétillantes : «Comme de bien entendu» (du film «Pas folle, la guêpe !»), «La Java» et «Mon homme» reprises en hommage à son amie Mistinguett, une femme qui elle aussi n’en fit qu’à sa tête et marqua l’histoire culturelle.
Cet article est paru dans le Télépro du 23/9/2021
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