Agressions sexuelles et chantage affectif: ce que requiert le parquet dans l’affaire Haenel
Après quatre ans d’investigations, le parquet a requis un procès contre le réalisateur Christophe Ruggia, qu’il soupçonne d’avoir agressé sexuellement entre 2001 et 2004 l’actrice Adèle Haenel, alors mineure, en lui imposant « chantage affectif » et « isolement ».
Devant les enquêteurs, comme lors de confrontations avec Adèle Haenel, M. Ruggia, aujourd’hui âgé de 59 ans, a nié. Ses avocats n’ont pas souhaité commenter.
Mais pour le parquet, pas de doute. « Il résulte des déclarations circonstanciées, constantes, précises et datées d’Adèle Haenel (…) et des éléments recueillis au terme de l’instruction que Christophe Ruggia lui a imposé des agressions sexuelles, nonobstant les dénégations de celui-ci », écrit-il dans ses réquisitions datées de mardi dont l’AFP a eu connaissance.
La décision finale d’un procès ou non revient au juge d’instruction.
« Une môme »
Aux yeux du ministère public, plusieurs éléments corroborent la version de Mme Haenel, 34 ans aujourd’hui, devenue une figure du mouvement MeToo: des lettres, les propos de cinq « confidents », de sa mère, ainsi que deux témoins visuels de « l’attitude déplacée » de M. Ruggia.
La soeur de Christophe Ruggia a également été entendue.
Si elle n’a pas été « choquée » au moment du tournage des « Diables » (2002) – premier film d’Adèle Haenel, avec Christophe Ruggia – elle raconte, en 2020, se souvenir d’une conversation avec son frère « il y a cinq ou six ans ».
Des années après les faits, « je ne sais pas s’il me dit qu’il est tombé amoureux d’elle, mais en tous cas, quelque chose de cet ordre-là ». Elle lui répond alors : « (c’était) une môme de 12 ans, même si tu tombes amoureux, tu t’en empêches ».
Lui, en pleurs, lui répond « Je sais bien », relate-t-elle.
Entre septembre 2001 et février 2004, Adèle Haenel allait tous les samedis après-midi chez Christophe Ruggia. Là, elle subissait, de manière « systématique », des « attouchements de nature sexuelle sur son sexe et sur sa poitrine », accuse le parquet.
« Il commençait à me caresser les cuisses en remontant vers mon sexe, comme ça, l’air de rien. Il touchait alors aussi mon sexe, il m’embrassait dans le cou (…) et il touchait ma poitrine », a raconté Adèle Haenel au cours de l’enquête.
« Il me disait que cet amour lui faisait tellement mal (…) que je lui devais cette relation », affirme-t-elle aussi.
Christophe Ruggia s’est adonné à des « épisodes de chantage affectif lors de festivals à Marrakech et Yokohama », ajoute le ministère public.
Pour caractériser l’absence de consentement, le parquet relève le très jeune âge d’Adèle Haenel, son « absence totale de connaissance de la sexualité », sa « sidération » et son « attitude physique de refus » au moment des faits.
« Premier admirateur »
Il retient également la circonstance aggravante de « l’autorité » du mis en cause, conférée par son « statut professionnel » face à une enfant débutante dans le cinéma, soumise à « une contrainte psychologique progressive liée à l’intensité des conditions difficiles de tournage ».
Le réalisateur est ainsi accusé d’avoir isolé Adèle Haenel de l’équipe du film, puis de sa famille, de lui avoir mentionné « une dette » envers « celui qui a initié sa carrière ».
« Les faits ne cesseront qu’à l’initiative d’Adèle Haenel », note le parquet. En 2004, elle lui écrit qu’elle ne veut plus le voir. S’ensuivent deux courriers du réalisateur, en 2006 et 2007.
Révélée en novembre 2019 par Mediapart, cette affaire a catalysé le mouvement #MeToo dans le cinéma français, jetant une nouvelle lumière sur la figure du pygmalion.
Christophe Ruggia a lui-même reconnu, dans une longue réponse à Mediapart, l' »emprise du metteur en scène à l’égard de l’actrice », demandant à Adèle Haenel de lui « pardonner ».
Il a toutefois réfuté toute agression ou harcèlement sexuels. Selon lui, les visites le samedi constituaient un temps d’échanges sur « la vie et les rêves » d’Adèle Haenel, sur des films à voir.
« Premier admirateur d’Adèle Haenel », il disait avoir « commis l’erreur de jouer les pygmalions ».
« Je n’avais pas vu que mon adulation et les espoirs que je plaçais en elle avaient pu lui apparaître, compte tenu de son jeune âge, comme pénibles à certains moments », assurait-il.
Depuis cette affaire, Adèle Haenel a plusieurs fois dénoncé « la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels », y compris lors d’une sortie fracassante contre le réalisateur Roman Polanski lors de la cérémonie 2020 des César.
Désormais comédienne de théâtre, elle a acté en mai sa rupture avec le cinéma dans une lettre à Télérama.
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