Affaire Haenel : Ruggia reconnaît une « erreur », la justice s’en mêle
Accusé par l’actrice Adèle Haenel d’agression sexuelle lorsqu’elle était adolescente, le réalisateur Christophe Ruggia a reconnu mercredi l’ »erreur » d’avoir joué avec elle « les pygmalions », mais réfuté toute violence alors que la justice s’est saisie de cette affaire choc pour le cinéma français, deux ans après #MeToo.
Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour « agressions sexuelles » sur mineure de moins de 15 ans « par personne ayant autorité » et « harcèlement sexuel ». L’enquête a été confiée à l’Office central de la répression de la violence faite aux personnes (OCRVP).
La vedette de « Portrait de la jeune fille en feu » n’a pas porté plainte, regrettant en direct lundi sur le site de Mediapart qu’il y ait « si peu » de condamnations dans ce type d’affaire et dénonçant « une violence systémique faite aux femmes dans le système judiciaire ».
Christophe Ruggia continue de nier toute agression dont l’accuse l’actrice, mais admet mercredi avoir « commis l’erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu’une telle posture suscite », dans un droit de réponse à Mediapart, qui a sorti l’affaire.
« Je n’avais pas vu que mon adulation et les espoirs que je plaçais en elle avaient pu lui apparaître, compte tenu de son jeune âge, comme pénibles à certains moments. Si c’est le cas et si elle le peut, je lui demande de me pardonner », poursuit-il.
« Exclusion sociale »
« Mon exclusion sociale est en cours et je ne peux rien faire pour y échapper, déplore le cinéaste. Le Moyen-Age avait inventé la peine du pilori mais c’était la sanction d’un coupable qui avait été condamné par la justice. Maintenant, on dresse, hors de tout procès, des piloris médiatiques tout autant crucifiants et douloureux ».
L’actrice française de 30 ans, récompensée par deux César, a mis en cause le réalisateur, avec lequel elle a tourné à l’âge de 13 ans son premier film, « Les Diables », dans une enquête publiée dimanche par Mediapart puis une interview filmée le lendemain.
Adèle Haenel a dénoncé « l’emprise » que Christophe Ruggia aurait exercée sur elle pendant la préparation et le tournage du film, puis un « harcèlement sexuel permanent », des « attouchements » répétés et des « baisers forcés dans le cou », alors qu’elle était âgée de 12 à 15 ans.
La Garde des Sceaux Nicole Belloubet avait regretté mercredi matin sur France Inter qu’elle n’ait pas porté plainte. « Je pense au contraire, surtout avec ce qu’elle a dit, qu’elle devrait saisir la justice, qui me semble être en capacité de prendre en compte ce type de situations ». Mais le parquet s’est donc auto-saisi.
Cette procédure et la vague d’émotion suscitée contribueront-elles à briser l’omerta autour de ces questions dans le cinéma français, deux ans après le lancement du mouvement #MeToo ?
« Un silence si lourd »
Les réactions continuent d’affluer. L’ARP (Auteurs, réalisateurs, producteurs) soutient ainsi mercredi « Adèle Haenel dans cette démarche courageuse », tout comme le SPI (Syndicat des producteurs indépendants). « Il ne faut plus que le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle soient des espaces tolérant +au nom de l’art+ la destruction des corps et des vies de celles et ceux qui les fabriquent », selon la CGT spectacle.
La Société des réalisateurs de films (SRF), association professionnelle comptant quelque 300 adhérents, avait dès lundi radié Christophe Ruggia.
Des actrices sont également montées au créneau. « Une grande admiration pour Adèle Haenel, qui parle pour celles qui sont dans l’ombre… », a témoigné l’actrice Julie Gayet sur Instagram.
« Adèle, ton courage est un cadeau d’une générosité sans pareille », a posté de son côté l’oscarisée Marion Cotillard. « Tu brises un silence si lourd ».
« Je pense que c’est une sorte de tournant. C’est la première fois en France qu’une actrice internationalement connue, qui travaille beaucoup et a une cote d’enfer, prend la parole sur ce sujet-là », estime la journaliste Véronique Le Bris, fondatrice du site cine-woman.fr, pour laquelle « ça va forcément avoir des conséquences ».
Pour l’universitaire Iris Brey, spécialiste de la représentation du genre au cinéma, « jusqu’à maintenant, en France, on n’a pas vraiment voulu avoir ces conversations post #MeToo ».
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