Pad’R : «J’ai dû prendre un calmant tellement cet événement m’horrifie»

Pad'R : «J'ai dû prendre un calmant tellement cet événement m'horrifie»

Abasourdi et horrifié par l’annonce de la fusillade à Charlie Hebdo, le caricaturiste de Télépro nous raconte, à chaud, comment il a vécu le drame.



Comment avez vous été mis au courant de cette tragédie et quelle a été votre première réaction ?

La vie est bizarre car je revenais de la librairie où j’étais allé acheter des revues. Dans l’une d’entre elles, il y avait une interview de Cabu (ndlr : l’un des dessinateurs décédés lors de la fusillade). Après un passage sur Twitter, je découvre le hashtag #CharlieHebdo qui se multiplie, associé au mot «massacre». Pendant un instant, je n’ai pas réalisé. Je me suis dit : «Ce n’est pas possible ! Je suis en train de faire un cauchemar !». Pour ne rien vous cacher, j’ai dû prendre un calmant tellement cet événement m’horrifie ! Je suis terrorisé par autant de détermination et de barbarie.

Aviez-vous déjà rencontré Cabu, Charb, Tignous ou Wolinski ?

Je n’ai jamais eu la chance de les rencontrer personnellement. Cependant, Pierre Kroll m’a récemment proposé de prendre part à l’association Cartooning for Peace et l’occasion aurait pu se présenter. Cabu était un pan de mon enfance, notamment avec Dorothée. C’est un des nombreux dessinateurs qui m’a donné envie de faire ce métier. Je le citais encore dans un magazine local du Brabant wallon il y a quelques semaines. Et puis demain, cela pourrait arriver à Pierre Kroll, à Dubus, à d’autres collègues qui me sont proches ! L’image de ces hommes qui rentrent dans la salle de rédaction et qui abattent froidement et sans pitié quatre dessinateurs me glace le sang.

Vous-même avez subi des menaces de mort récemment à la suite d’un dessin qui avait provoqué la polémique. Comprenez-vous la haine et la passion que déchaînent parfois les dessins satiriques ?

Je préfère ne pas revenir sur cet événement qui fut assez douloureux pour moi et ma famille. Des dessins qui créent la polémique, il y a en a toujours eu et il y a en aura toujours. Ce que je n’ai pas cautionné en revanche, ce sont les caricatures de Mahomet parues dans un journal danois en 2005. C’était de la provocation gratuite sans message. Mais c’est la liberté d’expression, et même un dessin de mauvais goût ne devrait pas déclencher toute cette haine.

Avec toutes ces menaces que subissent régulièrement les dessinateurs satiriques, avez-vous des limites que vous vous êtes juré de ne pas franchir ?

Je dois vous avouer que c’est ma femme elle-même qui m’a interdit de dessiner quoi que ce soit concernant les religions. Nous avons un petit garçon, et la famille passera toujours avant tout. Il y a en effet des choses qu’on ne s’autorise malheureusement pas à dessiner, alors qu’on devrait pouvoir le faire. On rentre malgré nous dans une espèce d’auto-censure en faisant le jeu de ceux qui nous menacent. Mais il y a de toute façon une foule d’autres sujets à dessiner, et je préfère jouer la carte de la prudence.

Pouvez-vous nous parler de cette association que vous avez evoqué : Cartooning for Peace ?

Il est vrai que tout cela m’a donné envie de répondre favorablement à l’invitation de Pierre Kroll pour faire partie de cette association.Cartooning for Peace a été lancée il y a quelques années par Plantu, le dessinateur du journal Le Monde. Il a décidé de réunir tous les dessinateurs satiriques internationaux autour d’une même projet. L’association a le soutien de Kofi Annan (NDLR : l’ancien secrétaire général de l’ONU). Elle rassemble surtout des dessinateurs qui ont un jour été malmenés dans l’exercice de leur métier. Les événements d’aujourd’hui me convainquent de m’engager un peu plus et m’y associer.
Pour plus d’info : www.cartooningforpeace.org

Entretien : Jordan Wilvertz

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