Niko Henrichon : «Noé, de la BD au grand écran !»
Sur un scénario dirigé par le réalisateur américain Darren Aronofsky («Black Swan»), le dessinateur canadien revisite le Déluge avec brio. Rencontre.
Leur Noé, héros viril évoluant dans des contrées inhospitalières, est bien loin de l’imagerie traditionnelle… L’adaptation cinéma est déjà attendue pour avril 2014, avec Russel Crowe dans le rôle titre. Nous avons rencontré Niko Henrichon, alors que le 2e tome de «Noé» vient de sortir.
Quelle a été la genèse de ce projet biblico-fantastique ?
L’agent de Darren Aronofsky m’avait contacté avant la sortie de son film «The Wrestler» (2008). J’ai reçu le scénario, il m’a plu. Au début, nous pensions publier l’histoire en anglais, puisque la plus grande partie de ma carrière s’est effectuée dans les comics américains, et qu’Aronofsky vend beaucoup plus dans son pays. Mais aux États-Unis, les gros éditeurs sont liés à des studios de cinéma. Et Darren voulait avoir les mains libres pour réaliser son film.
Le projet cinéma était donc envisagé avant que la BD ne voie le jour ?
Oui, mais il voulait une BD d’abord. Comme le film demandait un gros budget, il ne savait pas quand il allait pouvoir être lancé. Aronofsky et son coscénariste, Ari Handel, espéraient que la BD déclenche un enthousiasme pour l’histoire, qui faciliterait le projet ciné. C’est moi qui ai proposé de se tourner vers un éditeur européen. Ce fut un peu compliqué car il a fallu transposer les contrats en anglais. Il ne faut pas oublier que Hollywood est un milieu géré par les avocats ! Cela a donc pris beaucoup de temps avant de tout signer.
C’est un peu le monde à l’envers, les puissants Américains qui se tournent vers l’Europe…
Pour porter le projet, il fallait un éditeur solide et nous ne trouvions pas notre compte aux États-Unis. En plus, le format album convenait mieux à notre aventure, le marché US étant dominé par le comic book. L’histoire de Noé sera divisée en quatre parties. On sortira ensuite des versions complètes dans les autres langues.
Vous avez reçu le scénario «clé en main» ?
Ils ne m’ont pas donné un scénario de BD à proprement parler, mais un «screenplay», un script de base à partir duquel une autre version est encore nécessaire avant de réaliser un film ou une série télé. J’ai dû l’adapter pour la BD. Mon travail était assez libre, mais il a été très suivi par les deux scénaristes. Darren Aronofsky et Ari Handel ont vu et revu chaque page, à toutes les étapes.
Avez-vous un droit de regard sur le film ?
Non, mon rôle se termine après la BD. Bon, les designers du film ont dû voir et s’inspirer de ce que j’ai fait. Aronofsky a une vision très précise de ce qu’il veut. Au début du projet, on m’a envoyé un paquet d’images et de documentation qui donnait une idée assez précise de la façon dont il voulait voir l’arche de Noé, les décors, les personnages… Aucun détail n’est laissé au hasard, tout est hyper contrôlé ! C’est plus compliqué qu’une collaboration BD classique, mais ça s’est bien passé.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans «Noé» ?
J’étais à la recherche d’un projet à long terme, avec un scénario qui me tenait vraiment à cœur. À ce moment, je travaillais déjà sur mon propre scénario, l’adaptation d’une vieille légende. L’agent d’Aronofsky est donc arrivé au bon moment. Le script m’a beaucoup intéressé, je le trouvais novateur, audacieux et original. C’est surtout dans les deux derniers tomes que le récit prend vraiment son ampleur.
Ils savaient déjà à quoi le héros ressemblerait ?
Ils avaient déjà bien établi l’aspect visuel du personnage, sans pour autant me donner de croquis. Je savais que ce ne serait pas un Noé avec la grande barbe blanche, les sandales et la jupe. Ce sera quelque chose de plus fantastique. L’arche aussi est un autre genre de bateau que celui de l’imagerie biblique traditionnelle.
Avez-vous relu la Genèse pour l’occasion ?
Oui, mais le texte ne dit finalement pas grand-chose, c’est ça qui est intrigant. On a le début de l’histoire, la construction de l’arche, et puis la fin, après le déluge et la création de la nouvelle vie sur Terre. Mais on n’a aucune explication quant à l’épisode de Noé s’enivrant et dont la nudité est dévoilée par ses fils dans son sommeil, par exemple. Le parti pris d’Aronofsky est d’expliquer pourquoi cela se passe comme ça, ce qui s’est déroulé sur l’arche pour que ça arrive. Car on connaît peu de chose sur le voyage en lui-même. En ce qui nous concerne, de sera dans les deux derniers tomes que le projet dérive le plus par rapport au récit originel.
Les 3e et 4e volumes sont-ils déjà dessinés ?
Ils sont storyboardés, mais pas encore terminés. Le dernier sera vraisemblablement publié juste avant la sortie du film.
Travaillez-vous sur d’autres projets ?
Non. «Noé» me prend tout mon temps, surtout que je m’occupe de tout, du dessin jusqu’à la couleur. Après, je passerai à autre chose, mais je suis à 100 % dessus.
Vous le disiez, la plus grande partie de votre carrière s’est effectuée jusqu’à présent dans les comics américains. Comment jugez-vous la frontière avec la BD franco-belge, si elle existe ?
J’ai beaucoup travaillé pour un éditeur américain qui s’appelle Vertigo. C’est un peu la branche pour adulte de DC Comics. Il n’y a pas de super héros ou très peu, ni de baston entre mecs hyper musclés. C’est de la BD de genre, si on veut, qui ressemble plus à de la BD européenne. Il y a d’ailleurs pas mal d’auteurs européens, des Anglais, qui y sont. Pour moi, il s’agit du pont entre la BD américaine et européenne. Même si c’est publié aux États-Unis, il y a quand même une tradition de sobriété dans la mise en page.
Vous vous sentez donc à l’aise dans les deux styles…
Je parle anglais et français, je peux donc travailler dans les deux langues. Je trouve que la BD US est plus éditorialisée. Les éditeurs travaillent plus avec les auteurs, ils regardent, contrôlent plus que ce que j’ai cru comprendre en Europe, où on laisse davantage la bride lâchée aux auteurs.
À l’image du cinéma, finalement…
Bonne comparaison.
Quelles sont vos séries BD franco-belges préférées ?
Il y en a beaucoup ! J’aime tous les classiques, de Tardi à Hugo Pratt, tout ce qui est Uderzo, Blueberry, toutes les grandes séries. J’étais plutôt baigné dans la BD franco-belge quand j’étais jeune, parce que je viens du Québec…
Entretien : Julien BRUYÈRE
À lire
«Pour la cruauté des hommes», Noé n°1, (15,95 €) et «Et tout ce qui rampe», Noé n° 2, Aronofsky, Handel et Henrichon, 14,99 € (Le Lombard)
À voir
Le film «Noé» de Darren Aronofsky, prévu pour avril 2014, avec Russell Crowe, Jennifer Connelly et Anthony Hopkins.
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