Mort d’Alain Delon, le dernier monstre sacré du cinéma français
L’acteur français Alain Delon est décédé dimanche matin, à l’âge de 88 ans.
Sphinx solitaire, tourmenté et controversé, l’acteur français Alain Delon, décédé dimanche matin, était un mythe du cinéma, dont la beauté et le magnétisme ont fasciné les plus grands réalisateurs, sans que cela suffise à apaiser ses démons.
L’ombre et la lumière, c’est cette dualité que l’acteur a incarnée tout au long de sa vie. Elle dessine une personnalité qui ne cherche pas à être aimée et qui affiche son amertume et sa misanthropie. Alain Delon a « une personnalité assez autodestructrice et à la recherche de sa propre identité », décryptait le réalisateur Joseph Losey (« Monsieur Klein », 1976).
« Il est une tragédie », écrivait encore le réalisateur dans une lettre à sa femme en 1976. Delon l’a répété, il n’était pas un comédien, mais un acteur. Qui « vivait » ses rôles. Et qui n’avait jamais rêvé de cinéma, adolescent. Voyou meurtrier aux yeux azur dans « Plein soleil » (1960), tueur à gages taiseux dans « Le Samouraï »(1967), garagiste alcoolique dans « Notre histoire » (1984)…
Son visage, son regard et sa gestuelle ont gravé la pellicule. Il captive les réalisateurs des Trente glorieuses, en France comme en Italie (Clément, Visconti, Antonioni, Melville, Losey etc.), à l’exception notable de la Nouvelle Vague. « Ils ne voulaient pas de moi ». Il jouera toutefois pour Godard dans… « Nouvelle vague », en 1990. Né le 8 novembre 1935 à Sceaux (Hauts-de-Seine),
Alain Delon racontait avoir été malheureux enfant, ballotté entre deux familles – ses parents se séparent et refont chacun leur vie -.
Destiné à devenir commis charcutier, il plaque tout et s’engage à 17 ans dans les fusiliers marins en Indochine. Il a 20 ans quand il rentre à Paris. Il trafique à la lisière de la légalité à Pigalle mais sa beauté insolente lui ouvre les portes du cinéma. Il débute en 1957 dans « Quand la femme s’en mêle », d’Yves Allégret. Un an plus tard, il rencontre Romy Schneider, déjà star grâce à « Sissi ». S’ensuit une liaison de cinq ans, passionnée, orageuse et médiatisée, et un lien indéfectible entre ces deux acteurs peu doués pour le bonheur.
Sa carrière décolle. Il tourne plusieurs chefs-d’oeuvre et des grands succès populaires: « Plein soleil » et « Paris brûle-t-il? » (René Clément), « Rocco et ses frères », « Le Guépard » (Luchino Visconti), « L’Eclipse » (Michelangelo Antonioni), « Le Samouraï », « Le Cercle rouge », « Un flic » (Jean-Pierre Melville), « La Piscine », « Borsalino » (Jacques Deray)…
Malgré une centaine de films, de nombreux entrés dans la légende, il ne remporte qu’un César (en 1985 pour « Notre histoire » de Bertrand Blier) et reçoit une Palme d’or d’honneur à Cannes en 2019 pour l’ensemble de sa carrière.
Quelques semaines plus tard, il fait un AVC dont il se remet d’autant plus difficilement qu’il va souffrir aussi d’un lymphome. L’acteur ne tournait plus depuis des années, « Les cinéastes avec qui je pourrais tourner sont morts », déclarait-il au Monde en 2018. Mais il aurait voulu, « avant de mourir, faire un film sous la direction d’une femme ».
Des féministes américaines avaient vivement protesté lors de l’hommage cannois à l’acteur français, qualifié de « raciste, homophobe et misogyne ». Il faut dire que l’homme a toujours eu le chic pour susciter la polémique: déclarations à l’emporte-pièce sur les femmes ou le monde actuel (qu’il « vomit »), sympathies affichées pour la droite de la droite (à rebrousse-poil du monde du cinéma) et cette habitude saugrenue de parler de lui à la troisième personne. Sans oublier ses liaisons dangereuses, à une époque, avec quelques truands.
« J’ai eu beaucoup de rapports avec le grand banditisme, je l’ai même touché du doigt », confessait-il en 2021. En 1968, son ancien homme de confiance, Stevan Markovic, est retrouvé assassiné dans un bois, l’acteur est interrogé et l’histoire vire à l’affaire d’Etat.
Delon déclarait avoir puisé chez les femmes sa « motivation pour être ce qu(il) étai(t) »: Romy Schneider, Nathalie Delon, épousée en 1964 – son unique mariage – et mère de son fils Anthony, Mireille Darc, sa compagne pendant 15 ans, et la Néerlandaise Rosalie Van Breemen, avec qui il a eu Anouchka et Alain-Fabien.
Amateur d’art, collectionneur (tableaux, vins, armes…), il était aussi un grand admirateur du général de Gaulle et avait acheté aux enchères le manuscrit original de l’Appel du 18 juin pour l’offrir à son pays. Les dernières années de sa vie, où il est reclus dans sa propriété de Douchy (Loiret), ont aussi défrayé la chronique.
A l’été 2023, ses enfants accusent d’abus de faiblesse sa dame de compagnie Hiromi Rollin, qui assure, elle, être sa compagne de longue date, et l’expulsent de Douchy. Avant de s’entre-déchirer, par médias interposés et devant la justice, sur l’état de santé de leur père, finalement placé en avril 2024 sous curatelle renforcée. « Un héros doit toujours savoir mourir », déclarait l’acteur au Monde en 2018. « J’adorais mourir car c’est un point final ».
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