Guillaume Sorel : «Mon univers fantastique»

Guillaume Sorel : «Mon univers fantastique»

Après «Mother», paru en 2000 chez Casterman, le dessinateur revient avec un second album en solo, personnel et poétique, dont l’héroïne est un fantôme. Sa forme immatérielle lui permettant de voyager à son gré dans son immeuble, elle découvre les étranges occupations de ses voisins… L’auteur nous ouvre les portes de cet hôtel très particulier, oscillant entre fantastique et une certaine mélancolie.

C’est un projet qui vous tenait à cœur depuis longtemps ?

Très. Dans sa première forme scénaristique, c’était un ensemble d’histoires courtes. La première idée de les réunir en recueil remonte à au moins vingt ans. Pour la forme qu’il a maintenant, un seul récit, l’idée est venue il y a trois ans et j’y ai travaillé depuis.

Au détriment d’autres projets ?

J’ai peu réalisé d’albums tout seul, au final. J’ai fait «Mother» (Casterman) en 2000 et j’avais déjà mis six-sept ans à le mettre en place. Je me suis dit, douze ans c’est bien, maintenant il faut que j’en fasse un autre ! (rire) J’avais des projets en cours, j’étais censé finir ma série en cours chez Delcourt, «Algernon Woodcock» (scénarisé par Mathieu Gallié, ndlr), mais elle ne se termine toujours pas puisque le scénariste est «en panne». Je savais aussi que le succès des «Derniers jours de Stefan Zweig» (paru en 2012 chez Casterman) ferait que l’éditeur me laisserait donner la forme que je voulais à «Hôtel particulier».

Vous avez donc eu champ libre…

Quand j’ai amené le projet chez Casterman, il y a eu clairement quelques doute… jusqu’à ce qu’on voit les premières planches et qu’on comprenne où je voulais en venir. Mais je le répète, le succès du Zweig a fait qu’ils ont dit oui chez Casterman sans être trop méfiants. J’en avais vraiment besoin car «Hôtel particulier» est un bouquin très personnel et je voulais qu’il ait cette forme-là.

En quoi cet album est-il si personnel ?

Dans un premier temps, dans les décors, les personnages, les histoires, y a toujours des éléments personnels. La plus ancienne histoire, je l’ai écrite il y a cinq ans, en relation avec une situation personnelle très précise. Je me suis ensuite aperçu dans la deuxième partie de l’album que c’était encore plus personnel, plus intime que je me l’imaginais. J’y mettais beaucoup plus que ce que je voulais y mettre au départ. Sans ça, il aurait sans doute été moins naturel, moins «fantaisie». Chaque personnage correspond sans doute à une pensée, à une facette de moi, de ma vie ou de choses que j’ai vécues à un moment ou à un autre.

Émilie, l’héroïne, se suicide d’entrée de jeu. La mort vous fascine-t-elle ?

Non, mais elle ne m’effraie pas non plus. Le fantastique que j’apprécie en littérature, c’est un fantastique à la façon dont il était utilisé au XIXe. Il n’est pas l’élément principal des romans ou des nouvelles, il est un moyen pour amener les personnages à vivre des choses un peu extrêmes et à devoir y réagir. «Hôtel particulier» est d’ailleurs lié à un bouquin de Thomas Owen (écrivain belge spécialisé dans le fantastique, ndlr), «Hôtel meublé». Ici, l’objet de l’album est une balade dans les appartements d’un l’immeuble. Le meilleur spectateur, la seule personne qui puisse se promener comme elle l’entend, c’est un fantôme. J’ai donc décidé de tuer mon personnage pour ça.

Mais on ne saura jamais vraiment pourquoi Émilie s’est donné la mort…

On se doute que c’est lié à l’amour, ne serait-ce que parce qu’elle meurt dans sa baignoire après avoir avalé des médicaments. Il y a une référence claire à Ophélie, mais c’est vrai que je ne l’explique pas plus que ça.

Qualifieriez-vous cet album d’optimiste ?

Oui ! Ça n’a pas l’air évident, mais pour moi, c’est un album qui se termine très bien. On m’a demandé ce que j’avais envie que les gens ressentent à la lecture de l’ouvrage. Je me dis que si ça peut leur donner des idées et des envies, ce serait déjà réussi ! C’est riche et plutôt optimiste, oui.

Prenez-vous plaisir à dessiner des personnages féminins ?

Clairement ! D’ailleurs, au fil des années et de toutes les évolutions de ce projet, il y en avait un qui était clairement érotique, voire plus. C’est une vraie envie à un moment. Je suis consterné de voir que ce qui est fait en érotisme dans la BD ou dans l’illustration soit toujours tourné vers le sado-maso, le fétichisme, avec des pin-up, des filles de photos pour camionneurs. J’avais envie de faire une BD avec une représentation de la femme qui me semblait plus proche de la réalité, du quotidien, de ce que j’aime. Loin du fantasme et du stéréotype. Mais le projet est tombé à l’eau. Par contre, j’ai placé à différents endroits d’«Hôtel particulier» des scènes qui appartenaient à l’autre projet, en les traitant de façon réaliste et dans ce que ça peut avoir de beau. Mes personnages féminins sont jolis, j’espère, mais au sens du réel et non du fantasme.

Quelles sont vos références littéraires fantastiques ?

Je suis un amoureux de la littérature du XIXe et du début du XXe siècle. C’est une bibliothèque que je relis tout le temps. Sur «Hôtel particulier», je n’ai pas relu spécialement quelque chose de précis, mais la bibliothèque est à côté de ma table à dessin et je vais y piocher régulièrement. Je me suis plus amusé à relire certains textes de Thomas Owen car c’est un auteur que j’adore et auquel je fais régulièrement référence dans mon travail. Je travaille actuellement sur Maupassant, donc j’ai relu des histoires de fantômes qu’il a écrites.

Quels sont vos projets ?

Je travaille donc sur une adaptation du «Horla» depuis quelques mois. Ce sera pour le tout début de l’année prochaine. J’attaquerai aussi à ce moment un projet avec Serge Le Tendre, probablement chez Vents d’Ouest.

Et la suite des aventures d’Algernon Woodcock ?

J’étais censé finir la série (six tomes sont déjà parus, ndlr), mais elle ne se termine toujours pas. Mathieu Gallié, le scénariste, est «en panne d’inspiration» et connaît d’authentiques problèmes personnels. Du coup, c’est compliqué…
Entretien : Julien BRUYÈRE

À lire

«Hôtel particulier», Guillaume Sorel, 17 € (Casterman)

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