[Francofolies] Les sourds aussi ont droit à leurs moments de folies musicales !
Cinq concerts étaient traduits en langue des signes, cette année, au Francofolies de Spa. Un petit plus pour rendre la culture et la chanson accessible au plus grand nombre.
Être sourd et aller à un concert ne sont plus incompatibles. Depuis douze ans, les Francofolies de Spa proposent une traduction simultanée en langue des signes.
De quoi permettre aussi aux personnes malentendantes de profiter du spectacle et de l’ambiance. Mais l’exercice n’est pas une simple traduction comme on peut le voir à la télé, lors du JT !
Une idée plutôt qu’un mot
On ne parle d’ailleurs pas de traduction, mais d’inteprétation en langue des signes. La nuance peut faire sourire, mais elle a toute son importance. L’interprète fait passer une idée et donne du sens au texte. Ce n’est pas du mot à mot.
«Parfois, nous avons un échange avec l’artiste avant le concert pour savoir ce qu’il veut dire ou faire passer comme message», explique Christiane Broekman, interprète en langue des signes.
Il faut en moyenne quatre heures pour s’approprier une chanson en langue des signes. Et sur un récital, les interprètes se relaient à trois voire quatre personnes. Là aussi, le choix de la chanson à traduire se fait en fonction des affinités de chacun.
Un long travail de préparation
Aux Francos, seuls les concerts en français sont traduits. Une chanson s’apprend en deux temps, d’abord du point de vue linguistique (la langue des signes fonctionne par son et non par mot). Ensuite, c’est la mémorisation en langue des signes.
Quand la chanson est nouvelle, il faut l’écouter plusieurs fois pour se l’approprier. Il y a donc peu de place possible pour de l’improvisation. «Mais par contre, lors du concert de Cali, l’artiste s’est trompé, il a répété le même couplet deux fois», raconte Annie Devos, interprète. «Là, j’ai traduit ce qu’il chantait, mais en général, quand le chanteur fait des erreurs, la personne sourde ne le sait pas car on reste plutôt accroché au texte de la chanson.»
Faire une interprétation en langue des signes du spectacle de Gad Elmaleh est impossible, car trop d’improvisations et de phrases ambigües, difficilement interprétables. «Les sourds ont de l’humour, mais il est un peu différent des autres», ajoute Daniel Marenne, coordinateur.
Très peu d’interprètes côté francophone
Pour l’organisation des Francofolies, l’idée est de rendre les concerts accessibles à un grand nombre. D’ailleurs, il y a un accueil pour les personnes à mobilité réduite. Quatre concerts au minimum sont proposés, chaque année (deux sur la Scène Pierre Rapsat, et deux au Village Francofou).
D’autres festivals ont aussi recours à une interprétation en langue des signes. «Mais il y en a encore trop peu», lance Christiane. «Nous ne sommes que quinze personnes du côté francophone dont c’est le métier».
Le service dépend de la Région wallonne. Deux types de formations existent : un apprentissage de la langue en cours de promotion sociale (6h/semaine pendant 5 ans) et un diplôme en interprétariat, dans l’enseignement supérieur, à Marie Haps, à Bruxelles.
Les malentendants ressentent la musique
L’interprétation en langue des signes n’est donc pas une norme en matière d’accessiblité de la culture. «Les personnes sourdes sont demandeuses !», précise Christiane Broekman. «Ce qui serait bien, ce serait de faire toute une tournée avec l’artiste. Jusqu’ici, Maurane, Antoine Chance et Vincent Venet ont déjà fait la démarche.»
Aussi surprenent que cela puisse paraître, des sourds achètent les CD de leurs artistes favoris pour ressentir les vibrations de la musique. Pareil lors du concert, les sourds sont placés devant pour les mêmes raisons. Il y a une vingtaine de personnes qui assistent à ces concerts traduits.
«C’est très important que des personnes sourdes aient accès à tout un pan de la culture», ajoute Christiane. D’autres festivals sont «malentendants admis», comme l’Uni Sound dans le Brabant wallon ou plus ponctuellement, les Ardentes.
«Nous voulons aussi sensibiliser le public que ce genre d’initiatives sont possibles. Et que la langue des signes est une langue à part entière», conclut-elle.
Pierre Bertinchamps
Photos : Hugues-Pierre Lesuisse
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