Chris Deb : «Mes chroniques du Joe Bar»
En 1990, Christian Debarre, alias Bar2, publiait le premier album du «Joe Bar Team», recueil de gags autour d’une bande de potes motards des années 70. S’il a laissé la série aux mains de Fane, puis au duo Perna-Jenfèvre, il revient avec un recueil de huit nouvelles axées sur ces personnages. «Il s’agit de moments au bar jalonnés de flash-back où l’on revisite les histoires des uns et des autres, comment ils se sont rencontrés, qui ils sont réellement», explique l’auteur. Pour l’occasion, il a ressorti son premier pseudo, Chris Deb, dont il signait ses toutes premières planches. Rencontre.
Après le dessin, la plume vous démangeait ?
J’avais envie de revisiter le folklore et les personnages campés dans la BD, en leur apportant une dimension plus réaliste, moins burlesque. Je voulais souligner la drôlerie et le comique que côtoie une certaine forme de nostalgie. Je ne parle pas du quotidien des motards, mais des champions de quartier de l’époque, de pilotes ratés (ou pas) qui choisissent les rues pour exercer leur art. C’est un microcosme très particulier.
«Un sentiment de liberté plus grand»
À qui s’adresse ce livre ?
Je suis incapable de le dire ! J’imagine que les gens qui connaissent le BD y entreront plus facilement. Je vois mal quelqu’un l’acheter sans s’intéresser à la moto de près ou de loin, puisque déjà en couverture, il y a une star des années 70 (Barry Sheene, idole absolue de l’auteur, ndlr). Maintenant je serais ravi que des gens qui ignorent tout de cet univers le découvrent à travers mes bouquins, comme pour la BD en son temps !
Qui a eu l’idée de cet ouvrage, vous ou votre éditeur ?
Aucun n’éditeur normalement constitué n’aurait pu me suggérer de traiter de cet univers autrement qu’en BD. C’est donc vraiment une envie personnelle. J’avais travaillé il y a quelques années sur une pièce de café-théâtre où je revisitais les gags standards de mes deux albums (les tomes 1 et 5 du «Joe Bar Team», ndlr). Si cette pièce avait vu le jour, les spectateurs auraient vu en live ce qu’ils avaient lu dans les albums. J’ai utilisé de longues plages dialoguées de ce projet pour mon bouquin.
Pourquoi avoir choisi la photo de Barry Sheene pour illustrer la couverture ?
Il était la star absolue des motards des années 70 et il revient de loin en loin au fil de mes histoires. Sa gueule de chanteur, sa coupe de cockney londonien de l’époque, la déco de sa combinaison… tout cela évoque bien l’esprit de ce dont je parle dans le livre. C’était mon idole absolue !
Il y a comme une certaine nostalgie pour une époque révolue qui émane de votre ouvrage…
On ressentait effectivement une certaine forme d’insouciance, un sentiment de liberté plus grand…
«Je n’ai aucune imagination»
Vos personnages sont-ils inspirés de vos amis ?
Je n’ai aucune imagination, ce qui est assez gênant. (rire) Donc les personnages, leur caractère, leur jargon, leur mauvaise foi, leur faits d’armes et diverses anecdotes, même s’ils sont présentés de manière caricaturale, est un mix de ce que j’ai vécu ou observé. Je déteste la fiction, j’aime que ça colle au plus près de la réalité.
Conservez-vous un droit de regard sur la série BD ?
J’ai un droit de regard moral. Très franchement, pendant de longues années, j’ai laissé carte blanche à Fane pour faire ce qu’il voulait. Je découvrais les albums en même temps que les lecteurs. Depuis peu, et à la demande des auteurs d’ailleurs (Perna et Jenfèvre), je mets un peu plus mon nez dedans. Sur le tome 8, qui est en cours, je m’implique plus.
Est-ce que rire avec les crashes de moto ne supprime pas la notion, bien réelle, de danger ?
J’y ai toujours fait attention. Les accidents n’étaient pas montrés. On voit les personnages partir remontés comme des ressorts prêts à en découdre et on les voit revenir plâtrés jusqu’au cou. Ce qui sous-entend qu’ils se sont pris une gamelle et se sont fait mal. Par contre, quand il a repris la série BD, Fane a abordé le sujet de manière très différente. Il n’hésitait pas à montrer les motos qui passent sous des camions avec une certaine désinvolture. Je lui avais d’ailleurs dit : «Si on voit que c’est à ce point peu grave, ça enlève la peur !» Il faut quand même pour les personnages et le lecteur qu’il y ait une intensité dramatique derrière, qu’on sente qu’il faille absolument rester sur ses roues, même si ce n’est pas toujours le cas, car c’est cette peur qui engendre à la fois la bravoure et la mauvaise foi. Si on n’a plus cette peur de l’accident, ça tombe un peu à plat.
«Je ne tourne aucune page»
Au moment de lancer la série du Joe Bar Team, connaissiez-vous les Motards de Charles Degotte ?
Non, pas vraiment. C’était un de mes auteurs quand je lisais Spirou, gamin, avec le Flagada, mais je n’ai découvert ses Motards que lorsque je travaillais à Moto Journa. J’ai vu que c’était plutôt pour les plus jeunes. Je ne savais pas encore si j’allais faire un jour une BD sur la moto, mais en tout cas, pas comme ça, plutôt pour un public adulte…
Un retour à la BD est-il envisageable ?
Je ne tourne aucune page, mais l’écriture me passionne beaucoup plus que le dessin. Le dessin était d’ailleurs un petit peu une impasse parce qu’il ne vous aura pas échappé que j’avais un style très inspiré de celui de Franquin. Pour moi, dessiner, c’est dessiner comme lui. Ou alors mieux, comme il me l’avait dit un jour. C’était évidemment très gentil de sa part d’imaginer que je puisse déjà le rejoindre et éventuellement le dépasser, mais je savais – et lui aussi sans doute – que j’aurais passé ma vie à cavaler après Franquin. C’est vain, sans intérêt, et aurait été une frustration permanente.
C’est grâce à Franquin que vous êtes entré en BD et cause de lui que vous n’avez pas continué, c’est un peu paradoxal, non ?
Quand j’ai créé le Joe Bar Team pour Moto Journal, j’étais convaincu que ce n’allait être destiné qu’à une petite quantité de lecteurs, des purs et durs. Ça ne m’avait pas gêné d’oser sortir un style très inspiré de Franquin. Avec le succès, le problème est devenu plus aigu, plus gênant. Par contre, l »écriture m’ouvre de nouveaux horizons.
«Les idoles se font rares»
Un prochain recueil de chroniques est-il prévu ?
Pourquoi pas ! Je n’envisage rien de précis, mais comme je n’ai tourné aucune page, si le public a trouvé ça sympa et qu’il en redemande, continuer est tout à fait envisageable.
Vous intéressez-vous toujours à la compétition moto ?
Je regarde toujours les Grands Prix, oui, mais les idoles commencent à se faire rares. Les nouvelles têtes m’émeuvent moins que les «vieux»…
Vos deux garçons sont-ils fans de moto ?
Non. Ils regardent les Grands Prix parce que les ai traînés petits sur les circuits, mais ils ont préféré risquer leur vie au rugby, par exemple… (rire) Je leur ai dit : «Si un jour vous avez une passion impérieuse pour la moto, c’est simple, je vous paie le matos, puis vous vous inscrivez à un championnat et vous roulez sur circuit.» De peur qu’ils ne fassent les mêmes conn… que moi à leur âge. Il était hors de question qu’ils aillent se tirer la bourre sur la route !
Entretien : Julien BRUYÈRE
À lire
«Les Chroniques du Joe Bar», Chris Deb, 19 € (12bis)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici